
Alors qu’on nous serine sur une France qui pencherait plus que jamais à droite, plusieurs indicateurs viennent démontrer l’inverse. Les élites se fascisent oui, mais, tendanciellement, la population, elle, résiste et s’ouvre culturellement et socialement. Brève réflexion sur pourquoi tout n’est pas foutu et comment accentuer le changement.
Il y a des livres qui font du bien. Celui du politiste Vincent Tiberj par exemple. Dans La droitisation française. Mythe et réalités, ce dernier montre, sondages à l’appui sur les cinquante dernières années, comment toutes les générations, même celle des boomers, devient de plus en plus acquise aux thèmes chers à la gauche. Tout du moins, qu’il n’y a pas de « droitisation par le bas », comme le laissent à croire tous les bavasseurs de plateaux. Trois indices sont étudiés qui couvrent, depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, les préférences culturelles et sociales des Français.es, ainsi que la tolérance à l’égard des minorités religieuses, sexuelles, ethniques. Et les courbes tendent de façon presque linéaire vers un accroissement de cette tolérance, toutes générations confondues, hormis pour celle des préférences économiques qui oscille selon le contexte de l’époque. En revanche, Vincent Tiberj montre une droitisation bien réelle, celle des élites politiques et médiatiques. En résumé, une réalité en haut, un mythe en bas. (...)
En juin dernier, le dernier rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie est venu confirmer une partie des travaux de Vincent Tiberj. Oui, les Français sont de plus en plus tolérants. « L’indice longitudinal de tolérance (ILT) s’établit à 63/100, soit le troisième meilleur score depuis 1990 », dit le rapport. Mais les préjugés racistes demeurent fortement. Alors à quel saint se vouer ? (...)
Vote ou ne vote pas, mais organise-toi
Puisqu’on a tout bien lu Pierre Bourdieu, qui nous avertissait dès 1973 que « l’opinion publique n’existe pas », en tout cas celle mesurée par les sondages, alors nous sommes critiques face à la méthode employée par Vincent Tiberj. Pour autant, il vient confirmer une prénotion, observable à l’œil nu (certes, ce n’est pas très scientifique) : la jeunesse se radicalise, se polarise, mais pour une grande part se trouve à la pointe sur les questions intersectionnelles, c’est-à-dire sur l’articulation des différentes dominations subies (racisme, genre, classe sociale etc). Pourquoi ne trouve-t-on alors pas de traduction dans les urnes ? Une partie de cette jeunesse éduquée déserte celles-ci par lucidité sur le système politique, et se concentre plutôt sur l’action associative et collective, spontanée. Ou bien vote par intermittence. De manière générale, le politiste parle d’une « grande démission » du vote et postule d’une divergence entre citoyens et électeurs, c’est-à-dire entre ceux qui votent et ceux qui ne votent pas, pour comprendre les écarts entre aspirations politiques de la population et un paysage électoral de plus en plus brun. (...)
Les abstentionnistes sont de gauche, les cohortes de générations s’ouvrent de plus en plus vers l’altérité. Que faire de ces données ? Attendons sagement que les vieux meurent et le monde est à nous ?
Gare au backlash
Il serait naïf, voire illusoire de croire à un inéluctable progressisme. En face s’opère un « cultural backlash », concept forgé aux États-Unis, c’est-à-dire « un retour de bâton » face aux fortes avancées sur les questions féministes, LGBTQIA+, décoloniales. (...)
A n’en pas douter, l’élévation du niveau de diplôme de la population, suite à des années de démocratisation massive de l’enseignement supérieur, notamment via la fac, a permis à des générations successives de goûter aux joies de l’académisme universitaire. Et par là-même de comprendre la complexité du monde, qui n’inclut pas de binarité biologique entre hommes et femmes, entre Blanc et Arabe, Noir et Juif. C’est par ailleurs l’une des nombreuses raisons pour lesquelles le système Parcoursup introduisant la sélection à l’université représente un sévère retour en arrière. On peut aussi voir dans la mixité de la population, toujours plus grande et qui fait tant peur aux fachos, un facteur d’élèvement et de rejet du racisme. (...)
Quelles armes face à l’internationale fasciste ?
On peut compter sur les mobilisations et l’activisme acharnés de collectifs et associations pour faire évoluer la société dans « la bonne direction ». « Le problème c’est ce foutu poids de la hiérarchie qui nous bouffe la tête » (4), disait Charles Piaget avant de mourir, éminent militant syndicaliste, fer de lance de la lutte à l’usine Lip en 1973 (5). Celle des patrons, des propriétaires, des flics, des fonctionnaires, des politiques, des banquiers, des professeurs, des parents, des hommes, des Blancs, des carnassiers. C’est toutes ces dominations qu’il faut abolir. Alors certes, partout l’internationale fasciste s’organise. Elle mêle désormais les milieux d’affaires et les élites politiques, comme on peut le voir avec l’entrée en scène du milliardaire catho Pierre-Edouard Stérin et son projet Périclès visant à la victoire de l’extrême-droite unifiée en 2027, s’ajoutant ainsi à Vincent Bolloré et son empire médiatique. On l’a vu également lors de l’élection de Donald Trump et le rampement des cadors de la Silicon Valley devant le président américain réélu. On peut penser à nouveau au retour de bâton. (...)
Alors pourquoi ont-ils si peur ? Peut-être car la gauche se trouve bien plus forte que ce qu’elle ne pense d’elle-même. Peut-être que le sens de l’histoire souffle en ce sens. Tout le pouvoir à l’imagination disaien (...) (...) (...) t les soixante-huitards. Nous pouvons désormais dire, « tout le pouvoir au réel ». Une étude néerlandaise montre que plus un parti est à droite, plus il s’éloigne de la vérité. (...)
Le réel à gauche, la réalité mythifiée à droite.
Reprenons l’outil
De la réappropriation de l’outil de production par les ouvriers en grève de l’usine de montres Lip en 1973 à Besançon, jusqu’à celle de la Scop-Ti en 2014 (qui a réalisé son meilleur chiffre d’affaires l’an dernier depuis la reprise en main de l’usine à thé), en passant par l’usine Duralex l’an passé, l’autogestion de la production guide nos pas. Les exemples sont peu nombreux, mais ils démontrent la possibilité de faire sans patrons. Les luttes LGBT, Black Lives Matter, le mouvement décolonial, #Metoo, ont ouvert de nombreux fronts dans toutes les sphères de lutte contre les discriminations. Les soulèvements de la Terre, le mouvement climat, l’essaimage des ZAD. Partout les collectifs écologistes se renforcent, bien conscients qu’il s’agit du plus puissant frein au capitalisme que celui de la conservation du vivant. Se débarrasser du capitalisme était auparavant une question de justice sociale, il est désormais une question de survie. Et si tout n’était pas foutu à l’ombre des heures sombres que nous traversons ? Et si les forces vivaces qui transforment la société par la base comme démontré plus haut, parvenaient à renverser la table ? Comme toujours, la réponse à cette question ne se trouvera pas dans un gouvernement révolutionnaire, mais bien dans la gestion de nos vies, par et pour nous-mêmes, en luttant, toujours, pour faire advenir le monde à venir.