
Dans l’affaire du « 8 décembre », actuellement jugée à Paris, la DGSI a fait des recherches sur la « legal team » à laquelle participent, les jours de manifestation, certains des avocats choisis par les prévenus. Le parquet y voit un élément à charge, les avocats une atteinte aux droits de la défense.
(...) Depuis le mouvement contre la loi « travail », en 2016, des avocats volontaires assurent une permanence les jours de manifestation. Rien d’étonnant, donc, à ce que des militant·es disposent de ce numéro dans leur répertoire ou l’aient déjà appelé.
« Une mise en scène très inquiétante »
Pourtant, dans son procès-verbal, la DGSI va un cran plus loin, notant « qu’il est possible d’effectuer une corrélation entre la liste [d’avocats] ci-dessus et les avocats choisis par certains des mis en examen ». Elle rappelle, noir sur blanc, qui a été désigné par chacun. Ce procédé « a pour seul but de mettre en lumière le choix des avocats, pas de caractériser des éléments d’infractions », s’indigne Chloé Chalot, l’avocate de Camille B., qui dénonce « une mise en scène très inquiétante », sur « un terrain glissant ».
« L’exercice des droits de la défense est complètement libre et ne doit pas faire l’objet de commentaires de la part de l’autorité policière et judiciaire. Il est incroyablement alarmant qu’on puisse envisager la désignation d’un avocat comme un élément à charge. Soit la DGSI a voulu sous-entendre que ce choix révélerait les opinions des mis en examen, et une forme de culpabilité. Soit ça sert à interroger leurs modalités de défense et critiquer leur position pendant l’instruction, le fait qu’ils puissent refuser de se plier à des expertises ou garder le silence en garde à vue. »
Le mécontentement de la défense pourrait s’arrêter là. Mais le réquisitoire définitif du Parquet national antiterroriste (Pnat), c’est-à-dire le document dans lequel l’accusation réclame des poursuites à l’issue de l’instruction, reparle, lui aussi, de la « legal team ». (...)
Le parquet reprend « la rhétorique des services de police »
« Ce n’est pas la première fois que les “legal teams” et autres groupes de défense collective se retrouvent sous le radar des services de police et des parquetiers », déplore Claire Dujardin, présidente du Syndicat des avocats de France, citant le mouvement contre la loi « travail » ou celui des « gilets jaunes ». Elle regrette que « désigner tel ou tel avocat, préparer sa défense, connaître ses droits ou exercer son droit au silence soit interprété comme un élément à charge » et reproche au ministère public de « reprendre la rhétorique des services de police », quitte à développer « une vision choquante et dangereuse des droits de la défense ».
Tout en revendiquant sa « prudence » sur une affaire en cours, la présidente du Syndicat de la magistrature, Kim Reuflet, rappelle de son côté que « le procureur est le magistrat chargé de garantir le respect des droits et libertés des mis en cause pendant l’enquête et de s’assurer que les investigations réalisées sont strictement nécessaires ; s’il analyse l’exercice de droits procéduraux essentiels garantissant le procès équitable – droit de choisir son avocat, droit de se taire – comme des éléments à charge, il n’exerce pas sa mission constitutionnelle, il ne fait que soutenir une construction policière, ce n’est pas son rôle ». (...)
Dans l’affaire du 8 décembre, les avocats de la défense ont cité comme témoins deux policiers de la DGSI, qui ont refusé de venir s’expliquer sur leur enquête et la défendre à la barre. Malgré l’insistance de la défense, la présidente du tribunal ne souhaite pas les y contraindre.