
Une ancienne maison d’éclusier inoccupée dans l’Yonne est devenue un tiers-lieu associatif, un café, une épicerie solidaire et même un atelier pour vélos. « Ça fait du bien de voir du monde ! »
« C’est sympa, au moins, quand on vient travailler, on se sent moins seul ! » Thomas est éclusier durant l’été. D’ordinaire, c’est un métier en voie de noyade tant les ouvrages d’eau ont vocation à s’automatiser. Pourtant, ce dimanche d’août en fin de journée, Thomas est assailli de questions au passage d’une pénichette. Il répond aux touristes, ébahis par les volumes d’eau qui jouent aux vases communicants dans l’écluse.
Au bord du canal de Bourgogne, à Saint-Aubin-sur-Yonne, La Prochaine aire, un tiers-lieu associatif, a pris racine dans une ancienne maison d’éclusier pour devenir un repère ouvert et chaleureux. On y croise les habitants du village, mais aussi des visages venus d’ailleurs : cyclistes de passage, dégoulinants de sueur et boudinés dans leurs cuissards rembourrés, ou encore des vacanciers qui amarrent leur pénichette pour savourer une pause au bord de l’eau. (...)
L’idée qui a germé est simple : comme une véloroute allait bientôt remplacer le chemin de halage, la bâtisse décatie pourrait devenir un tiers-lieu associatif, un café, une épicerie solidaire, un atelier vélo, une guinguette pleine de diversité… « Une prochaine aire », raconte Bruno. (...)
En 2022, près de 600 maisons éclusières vides ont été identifiées en Bourgogne-Franche-Comté.
« Dans un appel à projets intitulé Open Canal, les VNF ont proposé la reprise de 70 maisons inoccupées pour toutes sortes d’activités (tourisme, restauration, culture, etc.) qui pourraient s’insérer le long du canal », dit Elsa Perreau, qui s’occupe de la valorisation des voies d’eau à la branche bourguignonne des VNF. La Prochaine aire était née.
Clowns et tartes salées
Le projet de Lise et Bruno, très vite rejoints par une équipe de bénévoles super motivés, a plu au maire de Saint-Aubin. « Nous avons pris soin de ne pas débarquer comme des conquérants. Très vite, nous avons monté le dossier avec la mairie », se souvient Lise Bouchereau.
Ensemble, ils ont proposé un projet ficelé aux VNF. Une convention a été signée : moyennant une redevance de 3 800 euros annuels, l’association loue la maison et organise des chantiers participatifs. (...)
« Ici, c’est un peu ce dont je rêve depuis toujours. Tout le monde participe ou aide. Le fonctionnement est quasi organique, grâce au principe de la gouvernance partagée. Certes, j’ai dû apprendre à me servir de Canva [un outil de design en ligne], des groupes de discussion, des réseaux sociaux pour faire la com’ du lieu et, au final, j’ai appris énormément de choses. »
Elle revendique une vraie mixité sociale dans ce lieu qui rassemble habitants et jeunes venus d’ailleurs. « Il y a des ateliers sur les insectes, sur la contraception masculine au milieu de concerts de vieilles chansons françaises. » (...)
L’originalité de La Prochaine aire est de réussir à dépasser les clivages politiques. Implantée dans un territoire acquis au Rassemblement national (Julien Odoul est député de la 3e circonscription de l’Yonne), La Prochaine aire est d’une obédience politique diamétralement opposée, mais ce n’est pas un sujet.
« Sans être du même bord politique, on peut oeuvrer ensemble. Il y a peut-être des idées ennemies, mais pas des gens », insiste Bruno, à l’origine du projet. « Ah moi, je ne fais pas de politique, veut croire le maire du village de 400 âmes, Jean-Paul Baussart, ce café est une aubaine pour le village. Qu’on vote vert, jaune ou noir, on s’en rend bien compte ! »
Il note cependant que le projet répond bien à ses promesses de campagne, quand, en 2020, il martelait vouloir « agir pour les jeunes du village ». Vice-président de la communauté de communes, il a aussi appuyé l’achat de vélos électriques mis à disposition à la maison éclusière.
Pause inattendue
En ruralité, la greffe ne prend pas toujours entre les néoruraux débordant de projets et d’envies puis les habitants du cru, locaux enracinés dans un territoire connu sur le bout des doigts. Choc des cultures, des idées et des générations ? Peut-être, mais à Saint-Aubin, la greffe semble prendre, car tout a été coconstruit en bonne intelligence (collective). (...)