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Mediapart
En Seine-Saint-Denis, le combat d’un vieil homme malade pour garder son droit au séjour
#exiles #OQTF
Article mis en ligne le 13 décembre 2023
dernière modification le 12 décembre 2023

Gournay-sur-Marne (Seine-Saint-Denis).– Il est assis là, sur son fauteuil roulant électrique, au milieu du salon réaménagé en chambre d’hôpital. Sa chevelure encore noir ébène contraste avec son pull en maille orangé. Abdelkader* ne tarde pas à dérouler son calvaire : il lutte contre la sclérose en plaque, une maladie qui ronge progressivement le moindre de ses muscles, au point de lui occasionner une paralysie de ses membres inférieurs. À 72 ans, constate-t-il avec amertume, il est « handicapé à 100 % ». (...)

Son épouse Nassera* s’occupe de lui matin, midi et soir. Le lit une place dans lequel elle dort a été installé juste à côté du lit médicalisé d’Abdelkader, de sorte qu’elle puisse aussi l’assister la nuit. « Il y a des chambres dans l’appartement, mais je ne peux pas le laisser seul. Il a souvent besoin que je lui serve de l’eau, que je lui arrange son oreiller ou que je lui vide sa poche », explique-t-elle en dialecte algérien. (...)

« Heureusement qu’elle est là », martèle Abdelkader à propos de son épouse. Six mois plus tôt, l’homme était opéré du colon, lui aussi attaqué par la maladie. Il enchaînait les allers-retours à l’hôpital jusque-là : « Le médecin nous a expliqué que si on voulait se débarrasser du problème, il fallait opérer. » Il vit depuis avec deux poches ; l’une pour les excréments, l’autre pour les urines. Celles-ci doivent être vidées plusieurs fois par jour. « Et malgré tout ça, ils disent que je n’ai pas le droit à un titre de séjour ? »

Plusieurs titres de séjour avant une OQTF

Arrivé en France en compagnie de sa femme en 2017, le retraité obtient d’abord plusieurs récépissés (un document autorisant le séjour et délivré par la préfecture dans l’attente de l’examen de la demande). Le couple s’installe chez son fils, aujourd’hui médecin à l’hôpital public en région parisienne, qui les prend en charge et les héberge encore à ce jour dans son logement à Gournay-sur-Marne.

La préfecture finit par lui délivrer un premier titre de séjour « étranger malade » en 2019, renouvelé plusieurs fois, jusqu’en 2022. Puis elle refuse, brusquement, de le lui renouveler, et va jusqu’à lui délivrer une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) le 28 novembre 2022, lui laissant un mois pour regagner son pays d’origine, tout comme son épouse. Pour la famille, le choc est immense. « C’est malheureux, souffle Abdelkader en plongeant ses grands yeux bleus dans les nôtres. Je n’ai pas compris. Au fond, ça nous a blessés car on ne s’attendait pas à ça. » (...)

L’épisode l’a profondément « secoué », ajoute-t-il. « Nous sommes très sages, nous ne faisons rien de mal en France, nous sommes âgés et nous vivons avec notre fils, qui est médecin. » Ce dernier s’est lancé dans une bataille contre la préfecture, aux côtés d’un avocat. Dans une décision rendue le 14 novembre, le tribunal administratif de Montreuil leur donne raison, et enjoint la préfecture de délivrer un titre de séjour au couple.

Mais celle-ci s’entête alors et écrit noir sur blanc, par courriel, qu’elle se contentera de délivrer des récépissés jusqu’à la décision de la cour d’appel ; puisqu’elle a contesté la décision. « Pourquoi ils font ça ? », interroge le retraité, qui ne met quasiment jamais le nez dehors, et que ces audiences éprouvent. « Ils n’ont pas confiance en la justice ? Trois juges se sont penchés sur mon dossier au tribunal. Tout ça pour deux titres de séjour… »

Sollicitée par Mediapart, la préfecture de Seine-Saint-Denis précise avoir émis un récépissé « au profit de l’intéressé le 28 novembre 2023 », à la suite de la décision du tribunal administratif. Plus surprenant, elle ajoute avoir « édité un certificat de résidence [ou titre de séjour – ndlr] vendredi 8 décembre, d’une durée d’un an, valable du 6 décembre 2023 au 5 décembre 2024 » ; ce que la famille comme l’avocat ignoraient. Aucune mention au titre de séjour de Nassera.

Elle n’explique par ailleurs pas pourquoi elle a fait appel de la décision, ni pourquoi elle a réclamé un « sursis à exécution » (autrement dit, elle a demandé à la cour d’appel de se soustraire à l’obligation de délivrer un titre de séjour dans l’attente de son jugement) – une pratique très rare dans ce type de dossiers. « C’est la première fois que je vois ça et c’est choquant, commente Me Laurent Charles, avocat de la famille. On a gagné en référé, on a gagné au fond, et elle réclame ce sursis alors qu’il faut un argument sérieux pour cela. » (...)

Pour leur fils, la situation est extrêmement difficile à vivre. « J’ai même pensé à déménager, alors que je suis propriétaire de mon logement, juste pour pouvoir changer de préfecture tant celle-ci nous cause du tort », confie Yanis*. Son travail, très prenant et éprouvant, l’amène chaque jour à soigner des personnes admises en réanimation, notamment à la suite d’accidents de la route. (...) Il se sent impuissant et souffre de ne pas pouvoir sortir ses parents de ce cercle infernal administratif. (...)

. « Le cas de Monsieur illustre parfaitement cette politique qui s’en prend à des personnes vulnérables. Ça a toujours été l’honneur de la France que d’accueillir des étrangers atteints de maladies graves et ne pouvant être soignés dans leur pays d’origine. »

« C’est dangereux et c’est grave », réagit Abdelkader, qui souligne que cette intention de durcir l’accès au séjour des étrangers malades est « ancienne », mais qu’il faut leur faire retrouver la raison. Sa situation, estime-t-il, résume à elle seule la « réalité » derrière ce titre de séjour. Il ne s’agit pas seulement d’un bout de papier mais de vies brisées par la maladie, par l’exil et par le rejet des étrangers de plus en plus grandissant en France. (...)

Au moment de manipuler une machine servant à l’installer dans son lit médicalisé, l’auxiliaire de vie commente : « Son cas est très délicat, il a vraiment besoin de soins. Dans sa situation, lui donner un titre de séjour n’est pas négociable. » Elle ignorait qu’il devait affronter, en plus de ses problèmes de santé, ces obstacles administratifs et ne cache pas sa consternation. (...)