Six membres de l’ONG italienne Mediterranea Saving Humans (MSH) sont accusés par la justice italienne d’avoir reçu de l’argent du géant danois du transport maritime AP Moeller-Maersk contre l’accueil de migrants qui étaient bloqués à bord d’un de ses cargos.
Les humanitaires ont comparu mardi 21 octobre devant le tribunal de Raguse, en Sicile - la prochaine audience est fixée au 13 janvier.
Parmi les six membres comparaissant devant la justice pour association criminelle visant à favoriser l’immigration illégale figurent, entre autres, le cofondateur de MSH, Luca Casarini, Pietro Marrone, commandant du navire humanitaire Mare Jonio, appartenant à l’ONG, ainsi que des membres de l’équipage, dont un médecin.
27 migrants bloqués plus d’un mois sur un navire commercial
L’affaire remonte à septembre 2020 : l’ONG avait transféré sur son navire de sauvetage, le Mare Jonio, 27 migrants bloqués depuis plus d’un mois sur le cargo Maersk Etienne du transporteur danois. Le navire commercial avait porté secours à 27 migrants, dont une femme et un enfant, sur un petit bateau de pêche qui était en train de couler le 4 août, à la demande de Malte. La petite île européenne avait refusé pendant des jours de laisser les rescapés débarquer sur son territoire, tout comme l’Italie.
À bord, la situation était rapidement devenue intenable. Début septembre, trois rescapés avaient même sauté à l’eau avant d’être repêchés par l’équipage et ramenés à bord. "La santé mentale et physique des personnes secourues (nous) préoccupe" avait déclaré dans un communiqué Maersk Tankers, la société qui gère le bateau, ajoutant avoir reçu des menaces de grève de la faim de la part des naufragés.
La Commission européenne, le Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) mais aussi la Chambre internationale de la marine marchande (ICS) avaient lancé un appel pressant pour le débarquement des 27 migrants, accusant les gouvernements européens d’être en contravention avec le droit international.
Après 38 jours d’impasse, les exilés avaient finalement été transférés sur le navire humanitaire Mare Jonio. ’’Nous sommes soulagés et reconnaissants. Les rescapés peuvent finalement recevoir les soins médicaux dont ils ont besoin et notre équipage peut continuer son voyage en sécurité’’, avait alors déclaré Tommy Thomassen, directeur technique du Maersk Tankers dans un communiqué.
Le Mare Jonio avait débarqué les naufragés le 12 septembre à Pozzallo, en Sicile. "Cela met fin à l’impasse la plus longue et la plus honteuse de l’histoire maritime européenne", avait signalé Mediterranea Saving Humans sur Twitter.
Versement de 125 000 euros
Y a-t-il eu transaction financière entre l’ONG et le navire pour accueillir les migrants à bord du Mare Jonio ? Le procès qui s’est ouvert mardi - le premier de ce genre en Italie - devra répondre à cette question.
L’accusation avance que oui : le sauvetage était motivé par des raisons financières, mettant en avant un versement de 125 000 euros de Maersk à Idra, une société qui chapeaute MSH, plusieurs mois après les faits.
Le géant du transport maritime s’en défend. Il avait indiqué, dans un communiqué publié en 2021, qu’il avait décidé, plusieurs mois après l’incident, de verser cette contribution pour "couvrir une partie des coûts" supportés par l’ONG, et qu’"à aucun moment" une compensation financière n’avait été évoquée avant ou pendant l’opération.
Il rappelait en outre que lors du sauvetage des migrants, ses appels répétés à l’aide avaient été ignorés par les autorités et que la situation à bord était devenue "critique d’un point de vue humanitaire".
Pour MSH, le versement de cette somme constitue un "don transparent" de Maersk Tankers, compagnie propriétaire du cargo, "en faveur du secours civil en mer", selon son communiqué.
"Rétablir la pleine vérité"
"Cinq ans après les événements, le débat public s’ouvre enfin, ce qui sera pour nous l’occasion de rétablir la pleine vérité et la légitimité de ce qui s’est passé, et de transformer une accusation absurde contre le sauvetage en mer et la solidarité en un procès contre ceux qui, en mer, laissent mourir des femmes, des hommes et des enfants", a déclaré MSH dans un communiqué lundi. (...)