Dix mois après l’opération "Mur de fer" menée par Israël en Cisjordanie occupée, plus de 30 000 personnes de trois camps de réfugiés restent déplacées et multiplient les appels à l’aide. Ce déplacement prolongé a dégénéré en une grave "crise sanitaire" avec notamment des conséquences psychologiques estime un coordinateur de l’ONG Médecins sans frontières.
Depuis plusieurs semaines, ils multiplient les manifestations pour s’opposer à un "déplacement forcé" et demander le droit de rentrer "aux camps" où ils vivaient, ceux de Nour Shams, Tulkarem et Jénine, dans le nord de la Cisjordanie occupée. Ces Palestiniens ont été déplacés par l’opération militaire israélienne "Mur de fer", lancée en janvier 2025. Pour l’organisation de l’ONU en charge des réfugiés palestiniens, l’Unrwa, l’opération a entrainé "le plus grand déplacement de Palestiniens en Cisjordanie occupée depuis la guerre de 1967". Elle avait initialement estimé à 40 000 le nombre de personnes déplacées des trois camps et de leurs environs immédiats.
Selon l’armée israélienne, l’opération visait à détruire les groupes armés palestiniens opérant dans ces camps. Roland Friedrich, directeur des affaires de Cisjordanie pour l’Unrwa, a lui mis en garde contre "les inquiétudes croissantes quant au fait que la réalité créée sur le terrain s’aligne sur la vision d’une annexion de la Cisjordanie", estimant fin octobre que "les trois camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem et Nour Shams ont été vidés, et les habitants sont activement empêchés d’y retourner". En date du 10 novembre, l’UNRWA estimait que plus de 30 000 personnes restaient déplacées des trois camps de réfugiés, créés au début des années 1950 pour accueillir les personnes déplacées lors de la première guerre israélo-arabe.
Le 5 novembre, lors d’une manifestation pour le droit au retour, des dizaines de personnes, dont beaucoup de femmes et d’enfants, se sont rassemblées au sud-ouest du camp de Nour Shams, marchant vers un barrage routier des forces israéliennes. (...)
Alors qu’une nouvelle manifestation avait lieu le mardi 18 novembre, Al Jazeera a rapporté que l’armée israélienne avait tiré et blessé son caméraman, Fadi Yassin, alors qu’il couvrait l’évènement. Elle a également indiqué qu’un enfant avait été "blessé par des éclats provenant de balles réelles". La foule a ensuite été dispersée par les soldats israéliens, selon l’AFP. (...)
Sur le terrain, des ONG comme Médecins Sans Frontières (MSF) ont tiré la sonnette d’alarme sur la situation désastreuse des résidents déplacés. Saman Perera, coordinateur du projet MSF pour Jénine et Tulkarem, souligne l’impact de ces déplacements sur la santé de la population :
"Le plus gros problème auquel nous avons dû faire face, en particulier au tout début du déplacement, c’était le manque de soins primaires.
Le deuxième aspect concerne la santé mentale. L’exposition répétée à la violence, les déplacements, les séparations familiales, les arrestations, les détentions, combinés à la perte de logement, la perte de dignité, la perte de sens de l’avenir, le manque d’intimité, le fait de devoir partager sa chambre avec des inconnus... Tout cela a eu un impact énorme sur la santé mentale. Je qualifierais cela de crise de santé mentale.
Au début, il y avait un manque d’autres acteurs. Nous avons répondu à cette situation en mettant en place 40 cliniques mobiles. À ce jour, en raison des difficultés économiques, il y a un besoin énorme en médicaments pour les maladies chroniques, en particulier le diabète et l’hypertension.
Nous avons eu environ 12 000 patients en soins primaires rien que cette année. Nous avons organisé 1 500 séances individuelles pour la santé mentale, dont 50 % des personnes qui viennent souffrent de détresse due à la violence et à un sentiment d’insécurité.
La population que nous aidons se sent oubliée."
Saman Perera explique que l’ONG doit encore répondre aux besoins d’une partie importante de la population :
"Certains de nos bénéficiaires ont pu retourner dans les quartiers situés à l’extérieur des camps. Ce ne sont pas seulement les personnes qui habitaient dans les camps qui ont été déplacées, car les zones situées à l’extérieur des camps étaient également très instables. Mais à ce jour, la plupart des personnes [celles qui vivaient dans les camps] n’ont pas pu rentrer chez elles."
"Nous ne pourrons traiter que les symptômes, sans nous attaquer à la cause profonde"
Selon Saman Perera, certaines personnes déplacées ont trouvé refuge chez des proches. D’autres louent des logements dans des zones accessibles de Jénine ou de Tulkarem, en dehors des camps, parfois grâce aux programmes d’aide financière proposés par diverses organisations.
Il souligne que de nombreux déplacés sont également hébergés dans des lieux inadéquats : (...)
MSF dit s’engager à répondre aux besoins "considérables" de la population, mais Saman Perera souligne que le bien-être des personnes déplacées dépend de décisions externes.
"En tant que professionnels de la santé, nous ne serons pas en mesure de redonner dignité, espoir et paix à cette communauté. Je partage leurs sentiments et ce sentiment d’abandon.
La détérioration [de la situation] est un processus à long terme. La première détérioration majeure, je pense, s’est produite après le 7 octobre. La deuxième détérioration s’est produite après l’opération ’Mur de fer’.
Il existe une énorme lacune dans le système de santé que nous ne sommes pas en mesure de combler par nous-mêmes. En ce qui concerne la crise de santé mentale, nous ne pouvons que traiter les symptômes, sans nous attaquer à la cause profonde du problème. Ce n’est pas une solution. C’est un pansement sur une plaie beaucoup plus grande. Il est absolument nécessaire d’attirer l’attention sur ce qui se passe en Cisjordanie en général."
"Risque de nettoyage ethnique" (...)
Cette situation intervient alors que le Parlement israélien a adopté le 22 octobre un vote préliminaire symbolique en faveur de l’annexion de la Cisjordanie. En août, l’État hébreu a également approuvé un important projet de colonisation en Cisjordanie, malgré les avertissements de la communauté internationale selon lesquels un tel projet détruirait tout espoir d’un futur État palestinien.
Le bureau humanitaire des Nations unies a également signalé en octobre un nombre d’attaques de colons israéliens contre des Palestiniens en Cisjordanie supérieur à tous les bilans mensuels depuis qu’il tient ce décompte en 2006. (...)
Amnesty International
Pétition Génocide à Gaza : la France doit mettre fin à l’impunité d’Israël