Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
En Allemagne, des « colons ethniques » veulent blanchir les campagnes
#extremedroite #Allemagne
Article mis en ligne le 13 septembre 2024
dernière modification le 8 septembre 2024

Derrière une façade d’amoureux de la nature, des militants d’extrême droite, inspirés du mouvement völkisch, achètent des fermes dans l’est de l’Allemagne et diffusent leur idéologie. Un « colonialisme ethnique ».

Leur but : quitter l’ouest où la présence d’immigrés et d’Allemands d’origine étrangère leur est insupportable pour s’installer dans des zones rurales et blanches à l’est, de façon à y conserver la « substance ethnique » allemande. Le tout, sous les apparences d’amoureux de la nature en recherche de liens avec le vivant.

« Derrière la façade inoffensive d’agriculteurs bio attachés à la tradition se cache en réalité la croyance en la prétendue supériorité du peuple allemand et une vision du monde raciste et antisémite », écrivait, en 2021, le gouvernement au sujet de ces « colons ethniques ». Dans les faits, ces derniers rachètent des fermes mais ne les cultivent pas forcément.

Des « colonies ethniques » ou « völkisch » sont présentes dans presque tous les Länder du pays, avec une prédilection pour l’est. L’extrême droite tire profit du destin difficile de l’ex-République démocratique allemande (RDA), en partie désertée après l’unification du pays et où beaucoup de fermes et de maisons abandonnées ne coûtent presque rien. L’arrivée de nouvelles familles est perçue de manière positive dans les villages vieillissants, d’autant que ces nouveaux voisins ont de nombreux enfants et se montrent attentifs aux autres : ils vont aux enterrements en signe de solidarité, proposent leur aide, s’engagent comme pompiers volontaires…(...)

Quant à leur idéologie, elle ne pose pas forcément problème à l’est du pays où le parti d’extrême droite AfD fait ses scores les plus hauts, comme lors des élections régionales le 1er septembre : en Saxe et en Thuringe, il a recueilli plus de 30 % des suffrages.
Traditions germaniques

Là, dans un entre-soi confortable, ces représentants de l’extrême droite la plus radicale peuvent vivre selon des traditions « germaniques » et penser en termes de générations plutôt que d’échéances électorales. (...)

ces colons ethniques s’inscrivent dans la continuité du mouvement völkisch, apparu à la fin du XIXe siècle outre-Rhin et précurseur du nazisme : il prône une identité enracinée, lie terre, peuple et sang dans un élitisme racial et donc un rejet de l’étranger.

À Leisnig, l’affaire a commencé il y a une décennie (...)

En 2019, les lieux ont été perquisitionnés dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour incitation à la haine.

Sont aussi arrivés Christian Fischer et sa famille. Sous ses allures de gendre idéal, il est un ancien cadre de l’organisation désormais interdite des Jeunesses allemandes fidèles à la patrie (inspirées des Jeunesses hitlériennes) — il a été condamné en 2010 à douze mois de prison avec sursis pour incitation à la haine. (...)

Jusqu’en 2023, il était aussi le porte-parole de Réinvestir l’Allemagne centrale (Zusammenrücken nach Mitteldeutschland), une initiative visant à promouvoir l’installation de familles d’extrême droite à l’ouest et proposant un réseau d’aide pour y parvenir. En 2023, l’initiative s’est autodissoute après l’interdiction par le ministère de l’Intérieur d’une autre structure proche, la Artgemeinschaft, « une association néonazie, raciste, xénophobe et antidémocratique qui compte environ 150 membres », selon le ministère, et dont faisaient partie des habitants de Leisnig. (...)

À Leisnig même, ils ont commencé par s’investir dans la vie civile : associations, crèches, écoles de leurs enfants ou collecte de dons pour les victimes des inondations à Ahrtal.

C’est à la faveur de la crise sanitaire que les colons ethniques ont commencé à occuper la place principale de Leisnig, en 2021. Sous le slogan « Nous voulons vivre », ils ont organisé des manifestations régulières pour s’opposer aux mesures gouvernementales anti-Covid. (...)

Dans la foulée, ils ont créé le site Leisnig.info, décliné sur les réseaux sociaux et sous forme d’un bulletin d’information papier. Présenté comme un média « indépendant », cette plateforme est en réalité un outil servant à promouvoir leur idéologie et à nommer avec nom et prénom leurs opposants politiques.

Alliance entre « nazis d’ici » et « colons ethniques » (...)

En juin dernier, plusieurs de ces acteurs ont été élus aux élections locales sous l’égide des Freien Sachsen (...)

« Leur but va être d’empêcher le bon fonctionnement du conseil municipal et de ralentir ce qu’ils peuvent. Ils ne cherchent pas à gagner quoi que ce soit, mais à détruire », analyse une habitante de Leisnig.

Ils ne comptent pas s’arrêter là : le 1ᵉʳ septembre, les Länder de Saxe et de Thuringe étaient appelés à renouveler leur Parlement. Christian Fischer était encore candidat. (...)

En face, une alliance citoyenne s’est constituée pour informer — la population ainsi que les entreprises — sur l’idéologie portée par ces nouveaux venus. Constituée d’un noyau d’une dizaine de personnes, elle a remporté de petites victoires (les vendeurs de biens immobiliers scrutent désormais le profil des acheteurs potentiels), mais pas de quoi mettre un terme au processus enclenché.

« Les autorités minimisent le problème que représente l’extrême droite » (...)