
Des contrats de consulting passés sans appel d’offres ont coûté une trentaine de millions d’euros à l’entreprise, et ont bénéficié à des personnalités du Tout-Paris dont certaines seront jugées pour recel. Le procès démarre mardi 21 mai.
L’ancien grand patron Henri Proglio, l’entreprise EDF mais aussi quinze personnalités des milieux des affaires, de la politique et de la communication vont se retrouver sur les bancs du tribunal correctionnel de Paris ce mardi 21 mai. Le procès, qui doit durer trois à quatre semaines, porte sur des faits de « favoritisme et recel ». (...)
Selon l’enquête préliminaire du Parquet national financier (PNF), initialement saisi par la Cour des comptes en 2016, Henri Proglio a fait dépenser à l’entreprise nationale (qu’il a présidée de 2009 à 2014) une trentaine de millions d’euros pour des contrats de consultants sans appel d’offres, et donc sans avoir respecté les règles de passation des marchés publics.
De bien curieux et coûteux contrats, au nombre de 44, confiés à des personnalités du Tout-Paris choisies personnellement par Henri Proglio pour des raisons de confidentialité et pour leurs compétences spéciales, selon l’ex-PDG d’EDF. Qui s’est constitué du même coup un réseau d’influence conséquent.
Un rapport de synthèse du PNF de 67 pages daté du 14 février 2022, dont Mediapart a pris connaissance, détaille le coût supporté par l’entreprise publique pour ces contrats, ainsi que les missions des bénéficiaires.
Parmi les personnes poursuivies pour « recel de favoritisme » par le PNF, on trouve ainsi le criminologue Alain Bauer, qui a reçu 650 000 euros hors taxe (tous les montants de contrats cités le sont hors taxes) pour deux contrats : officiellement, des missions de conseil sur « les questions dues à la criminalisation de l’économie globalisée et la gestion de la crise ».
Interrogé pendant l’enquête, Alain Bauer a prétendu être le seul prestataire en France à pouvoir satisfaire EDF sur ces questions. Questionné sur les noms de ses concurrents, il a répondu : « En France, personne. » Aucun livrable correspondant à ses prestations n’a été retrouvé par les enquêteurs de la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE).
Autre célébrité poursuivie, le banquier et ancien patron de Vivendi Jean-Marie Messier. Il a été l’heureux bénéficiaire de deux contrats EDF pour un montant total de 1,425 million d’euros, pour des « prestations de conseils sur les évolutions stratégiques envisageables pour le groupe à l’international, dans ses différents métiers de l’énergie ».
Également cité à comparaître, l’ancien patron d’Elf Aquitaine Loïk Le Floch-Prigent a pour sa part signé plusieurs contrats pour un total de 1,358 million d’euros. Ses missions ? Il était « associé à l’élaboration de la stratégie de développement international » d’EDF, et devait « apporter son expérience » dans différents domaines. Il était tenu de rendre compte au PDG d’EDF « par écrit ou verbalement ».
Encore mieux loti, l’intermédiaire italien Alessandro Benedetti a gagné un gros contrat de 4 millions d’euros ayant pour objet « assistance négociation pour l’achat d’Edison » par EDF.
Ancienne chargée de mission de Jacques Chirac à l’Élysée, Valérie Terranova, a signé pour sa part des contrats pour un montant global de 484 000 euros, pour une mission de « veille sur les perspectives de développement dans le domaine des infrastructures de distribution d’électricité » en Asie.
On trouve également parmi les prévenus d’anciens journalistes reconvertis dans la communication : Jean de Belot (840 000 euros), Roland Jacquard (530 000 euros), et Laïd Sammari (1,032 million d’euros).
Plusieurs personnalités ont préféré éviter ce procès en acceptant de plus discrètes procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), et s’en sont tirées avec des condamnations à des amendes pouvant aller jusqu’à 165 000 euros.