
Le mois dernier, le directeur de l’ENAP a vertement rappelé à l’ordre les recrues de la 216ème promotion, dans un discours sévère dont Blast publie l’enregistrement. Portés sur la bouteille, chahuteurs, volontiers bagarreurs, adeptes... de pratiques libertines, ces aspirants surveillants sont la risée de leurs futurs collègues. Ces incidents ne sont pourtant que les derniers symptômes d’une force de sécurité à la dérive depuis de longues années. Blast a mené l’enquête.
(...) A 13h30 ce jour-là, Sébastien Cauwel s’exprime devant les quelque 800 élèves surveillants de la 216ème promotion de l’école. S’il les a convoqués, écourtant l’heure du déjeuner, ce n’est pas pour ne rien dire : « Je me vois contraint de réunir une promotion entière au regard des nombreux incidents, incivilités, voire délits que nous constatons chaque jour, chaque nuit », commence par asséner le préfet. Belle entrée en matière.
Apparemment tendu, le haut fonctionnaire ne mâche ses mots à ses jeunes recrues, qui « n’ont pas compris que cet uniforme les oblige à une "exemplarité" ». Devant ses troupes, le directeur énumère une longue liste de dérives : « retards », « absences », « cris », « musique trop forte », « manque de respect », « dégradations », « incivilités », « vols », « attitudes indécentes dans certains locaux », « consommation excessive d’alcool voire d’autres substances », « bagarres sous emprise alcoolique, y compris avec des armes par destination »... Il pointe encore de drôles d’attitudes : « siffler des femmes, monter aux arbres, forcer des portiques, passer au-dessus des grilles, s’insulter »...
Un inventaire à la Prévert longuement martelé dans l’enregistrement que Blast a choisi de diffuser. (...)
Ce passage de savon - en public, une première dans l’histoire de l’école - a fait les gorges chaudes de la « Petite muette », le surnom de l’administration pénitentiaire.
Les élèves de la 216e promotion en ont fait l’amère expérience. Deux semaines environ après cette « cérémonie de la honte », ils débarquaient en prison pour un stage de six semaines sur le terrain. « Les surveillants étaient tous au courant, on était attendu et catalogué d’emblée. On n’a même pas eu le droit de se défendre, d’expliquer ce qui se passait, on s’en est pris plein la gueule », raconte Ryan*, dépité par l’accueil reçu. Alicia, une camarade de promo, s’entend dire qu’elle fait partie d’une « sale promotion », que ce qui s’est passé est « honteux ». Et Sophie est d’emblée prévenue : « la promo 216, on sait très bien que vous êtes des filous, vous avez intérêt à marcher droit et à pas faire de bêtises : on vous a à l’œil ».
Un brin vexante, cette mise à l’index a poussé 8 élèves de la fameuse 216 à échanger avec Blast, pour décrire leur quotidien et raconter leur formation. L’occasion d’une plongée édifiante dans les arrière-cuisines de la troisième force de sécurité du pays - 43 000 agents travaillent dans l’administration pénitentiaire, dont 30 000 surveillants. Et de ses dérapages, qui dépassent le cadre d’une seule et unique promo. (...)
Si la 216ème promotion restera sans doute dans les annales de l’ENAP - pour la publicité autour de ses agissements -, elle ne semble donc pas avoir le monopole de ces comportements. Ce qui pose la question de la qualité du recrutement des futurs surveillants.
« Il y en a qui sont là parce qu’ils ont vu de la lumière. Il faut être réaliste… Tu es fonctionnaire, tu es logé, tu es payé pendant la formation…, s’agace Karen, l’une des élèves actuelles. Vous vous rendez compte : payé à venir foutre le bordel, c’est quand même pas mal ! Payé à sortir boire un coup et en plus à se bagarrer, moi je dis chapeau ! ».
Recrutement à l’aveugle (...)
« Ce ne sont pas des gens (ce type de recrues, ndlr) qu’on devrait avoir dans l’organigramme de la pénitentiaire, dans une administration publique. On est censés représenter l’autorité et on fait pire que les détenus ! », s’emporte Alain.
Selon l’ENAP, « aucune difficulté de coordination n’existe actuellement entre la DAP et l’ENAP tant sur les questions de moyens que de recrutement. » Les échos recueillis par Blast s’avèrent quelque peu divergents. (...)
Un ancien cadre de l’école confirme, à son tour : « le souci de la DAP, c’est de remplir les postes. Quand elle fait des demandes à l’ENAP, elle ne se préoccupe pas de la manière dont va se dérouler la formation. Elle dit " je veux que vous rentriez tant de personnes à telle date parce que j’ai besoin que vous sortiez tant de personnes à telle date, dont j’ai besoin dans mes établissements ". »
Secrétaire général adjoint FO pénitentiaire, Dominique Gombert apporte un éclairage supplémentaire. « Concernant les budgets alloués chaque année par le ministère de la Justice pour recruter les surveillants, si vous avez un budget pour 800 élèves une année, et que vous n’en n’avez que 300 qui ont le niveau et qui sont recrutés, les 500 autres postes sont perdus ». En clair, si l’enveloppe de recrutement n’est pas utilisée, les crédits ne sont pas versés. Et visiblement, ils sont bien consommés. (...)
De fait, la pénitentiaire est confrontée à une problématique de gestion interne, avec une vague de départs à la retraite : celle des agents recrutés dans les années 1980. Mais aussi aux priorités gouvernementales avec l’augmentation du nombre de détenus, le plan de création de 15 000 places de prison supplémentaires d’ici à 2027 – une promesse du candidat Macron, en 2017 - et l’élargissement enfin de ses missions (notamment avec les extractions judiciaires). Autant de facteurs qui augmentent les besoins en recrutement de la pénitentiaire et donc la nécessité de former de nouveaux personnels… vaille que vaille.
Casiers chargés
Évidemment, l’enchaînement sur un rythme effréné des promotions de surveillants n’est pas sans conséquences sur le profil des recrues… et leur contrôle. Ainsi, certains aspirants ont dû être discrètement exfiltrés en cours de scolarité à cause d’un casier judiciaire un peu trop lesté. (...)
que des repris de justice souhaitent s’engager dans l’administration pénitentiaire laisse deviner en creux le peu d’attrait pour un métier difficile, dangereux, mal payé et aux horaires contraignants. Une carrière à laquelle peu d’enfants rêvent.
Opération séduction
Pourtant, le ministère de la Justice ne ménage pas ses efforts pour séduire davantage. La rémunération des jeunes agents, débutant dans la profession, a été revalorisée de 200 euros net par mois, entre 2017 et 2022 affirme Eric Dupont-Moretti ; des concours nationaux à affectation locale ont été mis en place depuis 2020, permettant aux surveillants de « sécuriser leurs projets de vie », sur un territoire donné ; une prime de fidélisation de 8 000 euros accompagne ce dispositif en contrepartie d’un engagement à servir dans un établissement de ce même territoire, pendant six ans. (...)
Ce n’est pourtant pas la difficulté du concours qui constitue une barrière à l’entrée. Pour l’heure, le seul brevet des collèges est exigé, sauf pour « les personnes qui élèvent ou ont élevé trois enfants ou plus » et « les sportifs de haut niveau », qui en sont exemptés. (...)
Les annales des trois dernières années témoignent d’un niveau de culture générale très peu exigeant. (...)