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Mediapart
Éclipsés par la guerre contre l’Iran, les massacres continuent à Gaza
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #famine
Article mis en ligne le 19 juin 2025

ous« Nous continuerons de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire vers Gaza tout en mettant tout en œuvre pour que cette aide ne parvienne pas entre les mains du Hamas » : le message revient comme une antienne dans les messages du Cogat, l’organisme militaire israélien qui supervise l’entrée des biens et des personnes dans les territoires palestiniens occupés. Images bien léchées à l’appui de camions rutilants.

Lundi 16 juin, le Cogat communique sur l’entrée de 46 camions affrétés par l’ONU, transportant de la farine et de la nourriture, via le point de passage de Kerem Shalom, au sud de l’enclave. Le 17 juin, il annonce, toujours sur le réseau social X, que 64 camions d’aide sont entrés dans le nord du territoire palestinien, par le point de barrage de Zikim.

La seule avancée est l’ouverture partielle de ce checkpoint, jusque-là hermétique, et les stratèges israéliens de la communication ne convaincront des bonnes intentions humanitaires des autorités que celles et ceux qui le sont déjà.

Car il faudrait au moins 600 camions quotidiens pour commencer à satisfaire les besoins d’une population affamée par des semaines de blocus total. Le consensus des professionnel·les de l’humanitaire sur la question est total, alors que 100 % de la population est confrontée à un « risque de famine » et près d’un quart se trouve dans une situation catastrophique – autrement dit, est en train de mourir de faim.

Dans la bande de Gaza, périr prématurément est la règle. De faim, donc. De soif, bientôt. Déchiqueté·e par des explosifs largués par des avions ou des drones, lancés par des chars. Perforé·e par des balles. Agonisant·e faute de médicaments ou de soins.

Un sac de farine et la mort (...)

Depuis une dizaine de jours, les communiqués du ministère de la santé précisent en outre le nombre de « morts de l’aide » et de « blessés de l’aide ». Pour la journée du 17 juin, 94 personnes ont été tuées alors qu’elles attendaient de l’aide humanitaire dans le quartier Al-Tahlia, à Khan Younès. (...)

Les chiffres parlent d’eux-mêmes mais ne rendent ni la panique, ni la terreur, ni le désespoir. Les images et les paroles disent, elles, un peu plus de l’horreur quotidienne subie par les Gazaoui·es. Depuis plusieurs jours, les unes comme les autres ne nous parviennent que par bribes. Les journalistes sont toujours interdits d’accès à la bande de Gaza et celle-ci a été muselée pendant cinq jours, du 10 au 15 juin. Notre chroniqueuse Nour Elassy fait le récit depuis l’intérieur de ces jours coupés du monde.
Massacre à Khan Younès

Une vidéo postée le 17 juin montre le massacre de Khan Younès. L’homme qui filme avec son téléphone court en criant : « Que le monde voie, que le monde entier voie, il y a des dizaines de martyrs, des dizaines de martyrs. » Au sol, éparpillés autour de véhicules, effondrés devant une moto, démembrés, des dizaines de corps, certains recouverts d’une poussière blanche, d’autres baignant dans le sang, dans des scènes dignes de « films d’horreur », selon les mots de témoins cités par le quotidien britannique The Guardian et recueillis par Associated Press.

« J’étais assis avec un groupe de jeunes hommes vers 8 h 30 quand soudain, un obus a atterri juste au milieu de nous. Je ne sais pas comment j’ai survécu sans aucune blessure. Alors que je m’enfuyais, un autre obus a frappé un autre groupe de personnes. Puis un missile a été tiré, suivi de tirs aléatoires », raconte l’un d’eux. Il poursuit : « Le sol était jonché de martyrs, de blessés et de flaques de sang. Des voitures explosaient, les corps des martyrs étaient déchiquetés – partout où l’on regardait, on voyait des morceaux de corps, du sang et des cadavres. »

Ces hommes s’étaient rassemblés là dès le milieu de la nuit, pour attendre des camions d’aide humanitaire. Il est difficile de déterminer les circonstances exactes de ce nouveau massacre. (...)

La foule, sans doute, espérait une distribution, ou pouvoir intercepter un camion.

Le drame n’étonne pas les professionnels de l’humanitaire que nous avons contactés et qui, pour protéger leur accès à l’enclave palestinienne, veulent garder l’anonymat. Depuis la levée très partielle, fin mai, du blocus total instauré par Israël le 2 mars, les entraves à l’entrée et à la circulation de l’aide sont plus nombreuses que jamais. Elles ne se limitent pas au nombre de véhicules autorisés, quelques dizaines par jour au mieux, ni à la nature des produits, farine et nourriture pour bébés, équipements médicaux.

Les routes carrossables sont peu nombreuses dans la bande de Gaza. Les plus sûres, comme celle qui longe la barrière de sécurité entre l’enclave et le territoire israélien, sont interdites d’accès aux convois de l’ONU. Mais empruntées par ceux qui desservent les quatre centres de distribution mis en place pour la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), organisation américano-israélienne très controversée, dont les installations sont protégées par des mercenaires états-uniens. (...)

« L’armée nous oppose toujours l’argument d’opérations militaires pour nous interdire l’accès des voies où le risque de pillage est le plus faible, affirme une source humanitaire. Sur celles que nous empruntons finalement, elle impose aux convois de s’arrêter toutes les quelques centaines de mètres. Par radio, un soldat ordonne au chauffeur de tête de s’arrêter, de reprendre, de s’arrêter à nouveau, sans raison claire. Évidemment, les gens, qui sont affamés, partent à l’assaut des camions. »
Pillages inévitables

Dans ce cas, soit les camions sont déchargés par la foule sans coup férir, et c’est là le moins dramatique, soit les gens affamés, à la recherche de nourriture pour eux-mêmes et leur famille, se font tirer dessus. Par l’armée israélienne, souvent à l’aide des drones, les omniprésents et terrifiants quadricoptères, ou par les milices criminelles équipées et protégées par Israël, que Mediapart avait documentées ici et que Benyamin Nétanyahou a reconnu avoir mises en place après les révélations de son ancien ministre et allié Avigdor Lieberman.

« La seule solution pour faire cesser les pillages, c’est d’inonder les marchés de nourriture, afin que piller ne soit plus nécessaire ou plus profitable, reprend notre interlocuteur. C’est cela que les autorités israéliennes empêchent en entravant notre travail. Sciemment, j’en suis persuadé. Le but est de propager le chaos. »

Et de faire ainsi échouer le système de distribution traditionnel, reposant sur les agences onusiennes, les grandes ONG internationales et un réseau serré d’associations locales, pour mieux promouvoir leur Fondation humanitaire de Gaza et les centres de distribution où la population est obligée de se rendre pour espérer un sac de farine. (...)

Après le fiasco des premiers jours, les tueries se succèdent. Les foules se pressent à proximité des centres de distribution dès le milieu de la nuit, chacun·e voulant être au plus près quand les portes s’ouvrent. Elles se précipitent, sans aucun contrôle, et les chanceux, les plus rapides ou les plus forts repartent avec un sac de farine ou un colis.

« Un par famille », aboient les haut-parleurs. Mais rien n’est vérifié. Tous les jours, les mercenaires, les soldats postés à proximité, les drones, tirent sur les affamé·es. Tous les jours, des Gazaoui·es meurent sous les balles d’avoir cherché à nourrir leurs proches. (...)

« Le nombre de blessé·es par balles est beaucoup plus élevé qu’avant, assure Amande Bazerolle, coordinatrice d’urgence de Médecins sans frontières (MSF), rentrée de la bande de Gaza il y a cinq semaines et en contact permanent avec les équipes de MSF sur place. Et c’est très différent des blessures par explosifs, des brûlures, que nous, MSF, prenons en charge. Mais toutes les structures médicales sont submergées. »

Le calvaire des Gazaoui·es semble sans fin.

« Après la faim, nous risquons de voir les gens mourir de soif, avance-t-elle encore. Alors qu’il commence à faire très chaud, nous n’aurons bientôt plus d’essence, et sans essence, nous ne pouvons pas approvisionner les usines de dessalinisation, ni faire rouler nos camions-citernes qui distribuent l’eau. » Déjà, souligne-t-elle, des véhicules sont arrêtés sur la route par des gens qui ont soif.

De l’essence, il y en a plein les entrepôts de l’ONU. Seulement, ils sont à Rafah, dans une zone sous contrôle total de l’armée israélienne… qui interdit aux agences onusiennes de s’en approcher. « Nous sommes en mode économie maximale de l’essence, mais à ce rythme, dans quatre semaines nous n’en aurons plus du tout », reprend Amande Bazerolle.

Il est à parier alors qu’Israël desserrera légèrement l’étau et laissera passer un peu de carburant, juste pour maintenir un minimum de travail humanitaire. Cette politique du « ne pas étouffer totalement » est aussi ancienne que le siège de la bande de Gaza instauré par l’État hébreu en 2007. En 2008 déjà, les autorités israéliennes avaient calculé le nombre minimal de calories par habitant pour éviter la malnutrition dans la bande de Gaza et donc le nombre de camions qu’il s’agissait d’autoriser à entrer.

« Les Israéliens s’arrangent toujours pour ne pas rendre notre travail totalement impossible, mais font tout pour que nous ne puissions pas le faire correctement », constate la coordinatrice de MSF.

Les États les plus puissants de la planète, eux, ne s’alarment plus guère. Ils commençaient à peine à s’en émouvoir que Benyamin Nétanyahou a lancé sa nouvelle guerre, contre l’ennemi iranien. Ils ont donc conclu, au cours de leur réunion du G7 au Canada, qu’Israël avait le « droit de se défendre ». Sans un mot pour le martyre de Gaza.