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Reporterre
Eau potable cancérigène : 50 ans de « scandale sanitaire »
#eaupotable #pollution #sante
Article mis en ligne le 17 mars 2025
dernière modification le 14 mars 2025

Des milliers de km de tuyaux d’eau potable sont contaminés par un agent cancérigène, le CVM. Un problème connu depuis les années 1970. Des analyses inédites révèlent l’ampleur du scandale sanitaire et de l’inaction de l’État.

Le ministère de la Santé estime à environ 140 000 km le linéaire de canalisations en PVC posé avant 1980 ou dont la date de pose est inconnue [2]. « C’est considérable », remarque Franco Novelli, de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).

« Les législateurs ont gravement manqué de diligence »

Pourtant, il a fallu attendre plusieurs décennies avant que les pouvoirs publics ne prennent la mesure du problème. « Informés des risques liés à la contamination des réseaux d’eau par cette substance, les législateurs ont gravement manqué de diligence », observe Gaspard Lemaire dans son article. Ce n’est qu’en 1998 que l’Union européenne a fixé un seuil à ne pas dépasser pour le CVM dans l’eau potable : 0,5 microgramme par litre (µg/L).

Puis, « alors que l’État français aurait dû mettre en place des mesures visant à éviter ces dépassements, la première campagne systématique visant à détecter la présence de [cette substance] dans l’eau ne date que de 2011 », indique le chercheur. Interrogé par Reporterre, le ministère de la Santé livre une version différente : « L’analyse du chlorure de vinyle monomère (CVM) dans l’eau du robinet est systématique depuis 2007 », nous a-t-il indiqué par courriel.

Une vision enjolivée de l’histoire : en 2007, le gouvernement a pris un arrêté qui prévoit enfin la mise en place d’analyses des eaux potables. Mais la première mission de détection du composé toxique dans les réseaux n’a été menée qu’en 2011, nous a affirmé l’Astee, qui a participé à ce programme. Des recherches tardives, qui ont confirmé les craintes des autorités.

Depuis une dizaine d’années, les signaux rouges se sont ainsi multipliés. Des habitants ont découvert du jour au lendemain qu’ils ne pouvaient plus consommer l’eau du robinet, comme Reporterre le racontait en 2017. Des communes se sont retrouvées à devoir distribuer de l’eau en bouteille. En urgence, des syndicats des eaux ont ouvert les vannes de leurs canalisations et mis en place des purges pour vider les réseaux des eaux contaminées [3]. Bref, c’est le branle-bas.

Des petites communes laissées-pour-compte (...)

Des solutions trop coûteuses

Comment expliquer une telle attitude des pouvoirs publics ? Nous avons posé la question au ministère, qui estime — comme nous l’avons écrit plus haut — avoir réagi dès 2007. Soit neuf ans après l’adoption de la directive européenne sur ce sujet. Dans son courriel, l’exécutif indique aussi être allé « plus loin que la réglementation européenne », qui ne requiert pas de prélèvements ni d’analyses poussées de l’eau potable. Pour le reste, il nous renvoie vers les collectivités propriétaires des réseaux, « en charge des travaux nécessaires en cas de présence de CVM ». En clair : circulez, il n’y a rien à voir. (...)

« Quand on constate des dépassements répétés de la limite de 0,5 µg/L, l’eau est déclarée non conforme, et on a trois ans pour gérer le problème, détaille Franco Novelli. On peut diluer l’eau contaminée, distribuer de l’eau en bouteille, purger les canalisations… Mais à terme, la seule solution, c’est de remplacer les tuyaux. »

Or cette dernière — et unique — solution prend du temps, beaucoup de temps. Il faut d’abord déterminer les canalisations à risque à l’aide de modèles informatiques complexes, puis effectuer une série de prélèvements. Dans les Côtes-d’Armor, il a ainsi fallu plus de deux ans pour juste identifier précisément les 77 km problématiques, sur les 4 500 km de tuyauterie départementale. (...)

« C’est difficile d’informer le public sur le fait que les canalisations sont cancérogènes, et que pendant des années on n’a rien fait », résume Gaspard Lemaire. Pour le chercheur, « la gestion de cette affaire ne relève nullement d’un cas isolé, mais témoigne d’une incapacité généralisée de l’État à protéger les citoyens contre les menaces sanitaires croissantes ».