Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Du macronisme à l’extrême droite, « on joue les droits des nationaux contre l’égalité des droits humains »
#immigration #macron #extremedroite #Renaissance
Article mis en ligne le 23 décembre 2023
dernière modification le 22 décembre 2023

Le philosophe Jean-Yves Pranchère déplore les « compensations nationalistes imaginaires » que l’exécutif propose à la population, en n’hésitant pas à reprendre les obsessions antirépublicaines de l’extrême droite.

(...) Le macronisme, ou l’apaisement impossible. Il y a quelques mois, l’exécutif prétendait dépasser la crise de légitimation suscitée par la réforme des retraites. Avec le vote d’une loi immigration qui colle aux passions xénophobes historiquement portées par l’extrême droite, il a en fait ouvert une nouvelle crise politique. (...)

Mediapart a interrogé Jean-Yves Pranchère, philosophe et professeur à l’Université libre de Bruxelles. Coauteur avec Justine Lacroix d’ouvrages sur les critiques des droits de l’homme, il rappelle en quoi la préférence nationale heurte les principes républicains. (...)

Jean-Yves Pranchère : L’émoi est justifié par le contenu du texte. Politiquement, cela signifie que le macronisme ne peut plus prétendre à un quelconque aspect centriste. Ce camp a accompli un virage « extrêmement droitier », pour employer une formule modérée. Si l’on regarde la coalition de députés qui a approuvé cette loi au Parlement, on voit se former un conglomérat qui évoque le bloc de droite et d’extrême droite qui gouverne en Italie, entre Giorgia Meloni, Matteo Salvini et les héritiers de Silvio Berlusconi. (...)

Bien sûr, en France, le centre de gravité se situe encore dans la composante la plus modérée, et l’extrême droite ne participe pas au gouvernement. Mais la comparaison permet de prendre la mesure de ce qu’il se passe : une dérive vers l’extrême droite du parti Les Républicains (LR), dont les différences avec le RN deviennent d’autant plus difficiles à cerner que ce dernier a donné des gages d’orthodoxie sur le plan économique ; et le camp présidentiel épousant les idées de ce bloc en formation. (...)

Là, de facto, l’ensemble macroniste entre dans un continuum avec le pôle le plus à droite du spectre politique.

Dans l’histoire de la droite, il y a déjà eu la tentation d’adopter des positionnements d’extrême droite. La préférence nationale a par le passé été considérée positivement par des dirigeants de premier plan, de Valéry Giscard d’Estaing à Édouard Balladur. Là encore, qu’est-ce qui fait le caractère inédit de la période ?

La différence, c’est qu’il ne s’agit plus de donner des gages à un électorat d’extrême droite qu’on veut gagner à soi, tout en restant le seul parti de gouvernement à droite. (...)

Désormais, les choses sont différentes. La droite historique représentée par LR se range sous une hégémonie idéologique conquise par l’extrême droite, en position de faiblesse puisqu’elle n’a plus exercé le pouvoir depuis 2012. Elle adopte les idées et la rhétorique de son rival en meilleure forme électorale, en l’absence totale de toute originalité de sa propre offre politique. (...)

Il faut comprendre que le républicanisme est une dynamique, tout comme les droits humains. La Déclaration des droits de l’homme de 1789 n’a pas tout dit en la matière, elle a fonctionné comme un déclencheur pour des extensions successives des droits humains. On ne peut pas qualifier de républicaine une régression qui va à l’inverse de l’extension de l’égalité des droits et des moyens sociaux effectifs d’y accéder. En l’occurrence, dans le texte adopté mardi soir par l’Assemblée nationale, des mesures sont en rupture avec cette logique d’extension de l’égalité. Elles s’attaquent au socle républicain. (...)

on considère depuis 1945 que l’accès aux droits sociaux est une condition du respect des droits fondamentaux dus à n’importe quelle personne, quelle que soit sa nationalité. Les étrangers ont besoin d’accéder à des droits tels que les aides médicales ou au logement, sans lesquels ils se retrouveraient matériellement mis au ban et en situation de discrimination.

En introduisant des différences disproportionnées et non justifiées, le texte adopté met un coup de canif extrêmement grave à nos principes. Le gouvernement et LR ont cédé à la vieille ruse de l’extrême droite qui joue les droits des nationaux contre l’égalité des droits humains. (...)

Entendre Gérald Darmanin dire que la loi contient clairement des éléments anticonstitutionnels était incroyable. On connaissait déjà le mépris des corps intermédiaires qui s’était manifesté lors de l’épisode des retraites, et de manière plus générale sous Emmanuel Macron. Sous son double quinquennat, le régime s’est révélé de plus en plus présidentialisé et dysfonctionnel, par la destruction de toutes les soupapes de la Ve République. Mais jamais au point où les gouvernants assument de ne pas se préoccuper de la constitutionnalité des lois. (...)

À ce titre-là aussi, on peut parler de dérive antirépublicaine. (...)

Il faut dire les choses : nous sommes dans une sorte de début d’orbanisation [du nom de Viktor Orbán, premier ministre hongrois – ndlr]. Ces dérives se font toujours progressivement, il est donc normal d’être prudent dans les diagnostics. Mais nous devons alerter quand le processus de délitement de l’État de droit et des principes républicains fondamentaux est enclenché. (...)

Le gouvernement nourrit le confusionnisme, c’est clair. (...)

Le décryptage de la loi a été fait par divers spécialistes. J’en retiens qu’elle empile des mesures vexatoires qui n’ont pas d’autre sens que d’être vexatoires. Elles vont compliquer à l’extrême la situation des étrangers en situation régulière, encourager l’irrégularité des travailleurs dans les métiers dits « en tension », et nuire à l’intégration des enfants d’étrangers ayant droit à la nationalité française. (...)

On répond à une demande de sécurité des Français par des mesures qui n’auront aucun effet et seront contre-productives. (...)

C’est assez tragique. Nous devrions nous concentrer sur des enjeux de justice globale pour ne pas encourager un basculement de la planète dans des régimes autoritaires qui géreront de manière liberticide le délabrement écologique. (...)