
En Arizona, les survivalistes se préparent à la fin du monde. Viscéralement méfiants à l’égard de l’État, climato-sceptiques, conservateurs, ils se reconnaissent pleinement dans le candidat Trump et voient dans le bitcoin un moyen de défendre une vision purifiée de ce que doivent être à leurs yeux les États-Unis.
En Arizona, des survivalistes se préparent à la fin du monde. Méfiants à l’égard de l’État, ces ultra-conservateurs se reconnaissent dans le projet du candidat Trump et voient dans le bitcoin un moyen de limiter le pouvoir de l’Etat et de défendre une vision purifiée de ce que doivent être à leurs yeux les États-Unis.
Le 19 septembre 2024, devant les caméras conviées à cette occasion, Donald Trump distribue à des membres de son équipe une douzaine de burgers dans un bar de Manhattan. Les sandwichs, qu’il nomme « crypto burgers », ont été achetés quelques instants plus tôt en bitcoins – une transaction réalisée via une tablette numérique, avec une aisance moindre que ce que les communicants de Donald Trump auraient certainement souhaité. Cet « achat » s’inscrit dans la longue séquence politique qui, depuis un peu moins d’un semestre, vise à ancrer l’idée que Donald Trump serait désormais « un candidat pro-crypto » ou « pro-bitcoin » (les deux étant souvent confondus). (...)
Au sein des milieux conservateurs américains, le bitcoin jouit depuis longtemps d’une légitimité certaine – certains mouvements de droite radicale les défendant depuis plusieurs années comme un nouvel « or digital », dont l’accumulation serait une nécessité. Or, et comme je le montrerai à partir d’une enquête sociologique conduite entre 2020 et 2024 sur les survivalistes états-uniens – aussi appelé preppers –, la détention de bitcoins s’inscrit effectivement dans un projet illibéral qui vise à la réduction toujours plus grande de la puissance publique, actualise un rejet ancien de la redistribution sociale, fait d’une certaine conception de la « liberté » une arme contre la démocratie et défend presque sans limites les privilèges des plus nantis.
Rationalité économique survivaliste
Aux États-Unis, la préparation – preparedness – est une activité défendue par de nombreuses institutions, associations ou organisations soucieuses d’éduquer les Américains aux meilleures réactions face aux périls et dangers contemporains (aux premiers rangs desquels les catastrophes naturelles). Mais si elle peut être une politique publique, la preparedness désigne aussi une occupation moins structurée, où des individus, très majoritairement conservateurs – voire ultra-conservateurs et sympathisants de l’alt-right étatsunienne – développent une sous-culture où l’anticipation des catastrophes, adossée à un imaginaire postapocalyptique codifié, sert en réalité la formulation et l’affermissement d’un projet politique réactionnaire. Ce type de préparation attire majoritairement un public masculin, blanc et conservateur qui se dit preppers, resilients ou survivalists. Beaucoup vivent – ou rêvent de vivre – loin du monde et de ses réseaux (infrastructurels ou sociaux), se réfugiant dans des paradis domestiques « off-grid » [autonomes] qu’ils ne cessent de construire et de perfectionner. (...)
Pour eux, le bitcoin participe de ce projet. Il est une monnaie sans État et qu’ils espèrent sans contrôle, nourrissant leur refus de l’impôt ou, a minima, la velléité d’y échapper. Il est un choix individuel qui, parce qu’il supprime les intermédiaires bancaires et complexifie grandement le travail de l’IRS – Internal Revenue Service [le fisc étatsunien] – peut préserver leurs biens et leur propriété. Il est un refus légal de la redistribution fiscale ; les plus pauvres (souvent « les Noirs » ou « les immigrants », précisent-ils en baissant la voix) étant les premiers responsables de leur état, pourquoi payer ? Eux se disent déjà trop taxés, empêchés, ponctionnés. Ils ne peuvent plus rien dire, ni même penser dans ce monde de wokes, de femmes et de LGBTs. Or, dans cette déliquescence généralisée qui risque, pensent-ils, de toucher encore un peu plus à leur propriété, ils doivent « se défendre ». Et le bitcoin, parce qu’il vulnérabilise les monnaies centrales et échappe, pour partie, au regard de l’État est un moyen pour eux de résister. (...)