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club de Médiapart/Carta Academica/Diletta Tatti, Chercheuse et assistante à l’UC Louvain Saint-Louis Bruxelles, Membre du GREPEC (Groupe de recherche en matière pénale et criminelle)
Droit à l’accueil : une illégalité qui traduit un choix politique condamnable
#exilés #migrants #Belgique #accueil
Article mis en ligne le 11 octobre 2023
dernière modification le 9 octobre 2023

Le 29 août dernier, la Secrétaire d’État belge à l’Asile et à la Migration annonçait la suspension de l’accueil des hommes seuls demandeurs d’asile. Anticipant une nouvelle « crise » de l’accueil cet hiver, elle motive sa décision par la volonté de « ne pas être en retard sur les événements » et vouloir « absolument éviter que des enfants se retrouvent à la rue »[1]. Un argumentaire qui hiérarchise dangereusement les situations de précarité et masque l’illégalité structurelle dans laquelle se trouve l’État belge. Un détour par la législation en matière d’accueil des demandeurs de protection internationale permet de recadrer la portée de ce choix politique.

Le cadre légal de l’accueil

Le droit d’asile trouve son origine dans la Convention de Genève de 1951 par laquelle les pays signataires, dont la Belgique, s’engagent à offrir une protection aux personnes qui, dans leur pays d’origine, ont une crainte fondée de persécution en raison de leur nationalité, leur race, leurs convictions politiques ou religieuses ou leur appartenance à un certain groupe social ou encore qui fuient la guerre, la torture ou des traitements inhumains et/ou dégradants.

Une demande d’asile ne peut être introduite en Belgique que si la personne se trouve sur le territoire belge. Les demandeurs de protection internationale ont alors droit à une aide matérielle de la part de l’État, le temps que les autorités examinent leur dossier[2]. La loi du 12 juin 2007, dite « loi accueil », transpose une directive européenne[3] et prévoit une aide matérielle qui comprend, notamment, « l’hébergement, les repas, l’habillement, l’accompagnement médical, social et psychologique et l’octroi d’une allocation journalière. Elle comprend également l’accès à l’aide juridique, l’accès à des services tels que l’interprétariat et des formations ainsi que l’accès à un programme de retour volontaire ». La notion d’accueil est donc plus large que le simple hébergement : la Belgique est tenue de fournir aux demandeurs de protection internationale un accueil qui leur permette « de mener une vie conforme à la dignité humaine » (article 3 de la « loi accueil »).

Une suppression illégale du droit à l’aide matérielle

L’examen du droit applicable amène deux constats. D’une part, la Belgique, au même titre que les autres États européens, a l’obligation de fournir un accueil conforme à la dignité humaine aux demandeurs de protection internationale. D’autre part, la décision de la secrétaire d’État d’exclure du droit à l’accueil les hommes seuls qui demandent l’asile en Belgique viole les normes belges et européennes. (...)

Le Conseil d’État a récemment invalidé la décision d’exclusion prise par la secrétaire d’État et a ordonné sa suspension. Madame De Moor a réagi en indiquant qu’elle n’exécuterait pas la décision de la haute juridiction administrative. Le gouvernement décide donc de se maintenir dans l’illégalité[4], et ce choix s’inscrit dans la durée. (...)

Le Conseil d’État a récemment invalidé la décision d’exclusion prise par la secrétaire d’État et a ordonné sa suspension. Madame De Moor a réagi en indiquant qu’elle n’exécuterait pas la décision de la haute juridiction administrative. Le gouvernement décide donc de se maintenir dans l’illégalité[4], et ce choix s’inscrit dans la durée. (...)

La Cour européenne des droits de l’homme a en outre rappelé à la Belgique, condamnée à exécuter ses obligations sous peine d’astreintes, qu’« une autorité de l’État ne peut prétexter du manque de fonds ou d’autres ressources pour ne pas honorer une dette fondée sur une décision de justice »[5].

Absence de volonté ou choix politique ? (...)

Si, actuellement, des centres d’accueil s’ouvrent ou sont en projet, c’est sur fond de réduction volontaire et continue de la capacité d’accueil depuis plusieurs années. Cependant, aucun gouvernement ne pourrait se décharger de ses responsabilités au motif de l’héritage de politiques préexistantes. Il en va de la crédibilité des instances étatiques. (...)

De nombreux acteurs de terrain ont proposé et proposent des solutions afin de sortir les demandeurs d’asile de la rue, qui toutes sont refusées. (...)

Une dangereuse hiérarchisation des vulnérabilités

Donner la priorité aux femmes et aux enfants afin qu’ils ne se retrouvent pas à la rue est compréhensible et louable. Mais cette annonce combinée à une absence de volonté politique de trouver des solutions pour les hommes est inique et revient à masquer leur vulnérabilité. (...)

À l’occasion de la récente occupation de la place Flagey à Ixelles, un demandeur d’asile a clairement résumé le sens du droit à l’accueil : « être accueilli comme un être humain ». Avant d’ajouter : « comme un ukrainien ». Aucune loi ne hiérarchise les demandeurs de protection internationale en fonction de leur origine ou de leur sexe. Sans doute est-il essentiel de se le rappeler à l’heure d’appliquer les solutions qui mettent fin à l’illégalité structurelle de l’État belge. (...)