
Très critique de l’industrie pétrogazière en Azerbaïdjan, Gubad Ibadoghlu risque 17 ans d’emprisonnement pour de fausses accusations. À la veille de la COP29, ses enfants racontent son arrestation et l’enfer vécu en cellule.
« Six voitures banalisées ont déboulé et percuté le véhicule de mes parents. » À l’autre bout du fil, Zhala Bayramova décrit l’arrestation en détail. Sa voix ne tremble pas. « Une vingtaine d’hommes, en civil et sans insigne, ont violemment attrapé mon père et ma mère. Et tous les deux ont été traînés dans deux véhicules différents. » La scène remonte au 23 juillet 2023. Ce jour-là, le docteur en économie Gubad Ibadoghlu est placé en détention par les autorités azerbaïdjanaises. Le début d’un long calvaire pour ce militant anticorruption, devenu bête noire de l’industrie pétrogazière du pays.
Incarcéré 274 jours dans l’attente d’un jugement, l’activiste a vu son état de santé se détériorer grandement au fil des mois. Le 22 avril 2024, craignant que celui-ci n’empire encore, le bureau du procureur a décidé de l’assigner à résidence. À quelques jours de l’ouverture de la COP 29 à Bakou, l’homme demeure privé de libertés, reclus dans son appartement.
Persuadés que les conversations téléphoniques de leur père sont sur écoute, sa fille, Zhala Bayramova, et son fils, Ibad Bayramov, ont accepté de témoigner en son nom auprès de Reporterre. Vivant en exil, en Suède et en Hongrie, tous deux dénoncent une stratégie de musellement des voix dissidentes à l’approche du grand raout sur le climat. (...)
La répression de la société civile en Azerbaïdjan s’est intensifiée mi-2012, à l’approche d’une élection présidentielle. Le président, Ilham Aliyev, désormais aux commandes du pays depuis 21 ans, voulait éteindre les prémices d’un soulèvement populaire. Ce, au lendemain du Printemps arabe, ayant mené à la chute de plusieurs chefs d’État et dictateurs.
En 2014, les autorités ont ouvert une première enquête criminelle à l’encontre d’un « think tank » dirigé par le Dr Ibadoghlu, sur la transparence des finances publiques de l’Azerbaïdjan. (...)
les autorités azerbaïdjanaises ont voulu envoyer un message à la société civile : terroriser quiconque serait tenté de s’opposer au pouvoir. Le 19 août 2023, la chambre d’Emin, le troisième enfant de Gubad Ibadoghlu, a ainsi été saccagée : « Les pseudocambrioleurs n’ont visé que sa chambre, pas celle de ses colocataires, décrit Ibad Bayramov. Aucun objet de valeur n’a été dérobé, seulement des documents et relevés bancaires. » Sûrement une stratégie visant à intimider, aussi, les proches de l’universitaire contrariant les plus grands cadres de l’État, suggère-t-il.
De son côté, Gubad Ibadoghlu, la véritable cible de l’opération, a été transféré vers son ancien appartement. Là-bas, à l’issue d’une perquisition, la police a déclaré avoir saisi 40 000 dollars en espèces. Une méthode de compromission héritée de l’ère soviétique, dénonce le fils de l’activiste. Son père n’ayant pas mis un pied dans ce logement depuis 9 ans, il est persuadé que l’argent y a été placé par la police elle-même (...)
bâillonner l’homme dont les travaux affectaient les intérêts commerciaux et financiers de l’État. En mai 2023, dans la revue Ressources Policy, le Dr Ibadoghlu a démontré comment le pétrole entrave la démocratie dans les pays extractivistes post-soviétiques. Il soulignait par ailleurs l’hypocrisie de l’Union européenne, ayant signé en juillet 2022 un protocole d’accord pétrolier et gazier avec l’Azerbaïdjan pour s’émanciper de la Russie de Vladimir Poutine. Ou comment « abandonner un pays autoritaire pour coopérer avec un autre », persiflait-il. (...)
Pour avoir critiqué l’offensive de l’armée azerbaïdjanaise dans les territoires arméniens du Haut-Karabakh, sa fille, Zhala Bayramova a été victime d’une vague de menaces de mort : « [Mon père] aurait pu adopter une posture nationaliste pour s’assurer de nombreux soutiens politiques. À la place, il a publié un long post Facebook pour appeler tous mes harceleurs à se taire. » Elle se remémore son soulagement en le voyant débarquer chez elle à Lund, en Suède : « Il avait pris le premier avion pour m’accompagner déposer plainte. Puis, il s’est procuré des caméras et les a installées autour de ma porte. »
À croire le témoignage de son fils, Gubad Ibadoghlu n’a eu accès ni à des vêtements ni à des médicaments les sept premiers jours de sa détention. Il a été privé d’eau potable un mois durant. Les visites lui étaient refusées, au même titre que les appels téléphoniques. « Et la lumière de sa cellule restait allumée en permanence, de jour comme de nuit, pour l’épuiser psychologiquement », enrage Ibad Bayramov. (...)
Dans une résolution d’urgence, adoptée le 25 avril 2024, le Parlement européen a reconnu que l’état de santé du prisonnier s’était « considérablement détérioré (…) à la suite de tortures, de conditions de détention inhumaines et du refus de soins médicaux adéquats, mettant sa vie en danger ». Une position soutenue deux mois plus tard par un cardiologue des États-Unis, dans une lettre envoyée à la Cour européenne des droits de l’Homme : celle-ci réclamait une intervention d’urgence face au risque élevé de crise cardiaque de la victime.
Face à cette pression internationale grandissante, la détention provisoire de l’universitaire a pris fin après 274 jours derrière les barreaux. Le militant souffre d’une perte de vue partielle, d’une polyneuropathie diabéthique, de dépôts dans la vésicule biliaire et de nodules dans la glande thyroïde. Son procès a été suspendu pour une durée indéterminée. Pourtant, il reste aujourd’hui encore assigné à résidence et n’est pas autorisé à quitter le territoire pour recevoir les soins nécessaires : « L’État le tient en otage », dit son fils de 24 ans.
Alors que la COP29 débute lundi 11 novembre, le sort de l’activiste – déjà censé occuper un nouveau poste d’enseignant à l’École polytechnique royale de Dresde, en Allemagne – demeure incertain. Amnesty International appelle les dirigeants des États membres de l’ONU à exiger sa libération immédiate et inconditionnelle lors de leur passage aux négociations. Une demande déjà formulée par l’Union européenne en septembre 2023. En vain (...)