La Commission européenne va présenter le 16 décembre un projet de règlement visant à autoriser des pesticides de manière illimitée, contre un examen aujourd’hui tous les dix ou quinze ans. 2300 scientifiques alertent dans cette lettre ouverte.
Alors que des menaces de plus en plus précises pèsent sur l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et qu’un projet « omnibus » de la Commission européenne vise à supprimer l’obligation de ré-évaluation des pesticides, nous — chercheur·ses de diverses spécialités, professionnel·les de santé (sage-femmes, médecins généralistes ou spécialistes, infirmier.es de santé publique) — souhaitons alerter les pouvoirs publics et demandons une entrevue au Premier Ministre.
De nombreuses et nombreux scientifiques et soignants, se sont émus lors du projet de loi Duplomb, de la non prise en compte des connaissances disponibles concernant l’impact des pesticides sur le vivant, et de l’absence de débat éclairé ayant conduit à l’adoption de la loi. 22 sociétés savantes, les dirigeants d’associations nationales renommées œuvrant contre le cancer, l’Ordre des médecins, et un collectif de près de 1300 scientifiques ont alerté sur le fait que les données émanant des organismes de recherche publique (Inserm, Inrae Ifremer,CNRS…) portant sur les effets des pesticides sur la santé humaine et sur la biodiversité et reflétant un consensus international, ne pouvaient être ignorées.
Cette mobilisation inédite a été suivie d’une mobilisation citoyenne d’ampleur puisque plus de deux millions de personnes ont signé une pétition sur le site officiel de l’Assemblée nationale. (...)
L’indépendance de l’Anses fragilisée
Cette défiance s’exprime tout particulièrement envers l’Anses, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail : le blocage de celle-ci par certains syndicats agricoles en novembre 2024, n’a pas été condamné, bien au contraire, par la ministre de l’Agriculture.
Plusieurs des récentes publications de l’agence, sa décision d’interdiction du S-métolachlore, son avis concernant les nouveaux OGM, ont été vivement critiqués par des responsables gouvernementaux.
Et si l’agence a échappé au « conseil d’orientation » initialement prévu par la Loi Duplomb, son indépendance est fragilisée par le décret n° 2025-629 du 8 juillet 2025 qui lui demande de prendre en compte une liste, fixée par le gouvernement, de pesticides prioritaires dans l’élaboration du calendrier des autorisations de mise sur le marché. Le départ récent du directeur général de l’Anses s’est effectué dans des conditions pour le moins punitives sanctionnant ainsi l’opposition sans équivoque qu’il a manifestée contre la création de ce conseil d’orientation.
Homologation éternelle
La dérégulation en cours trouve aujourd’hui un relai au niveau européen où le Green Deal est attaqué ; un détricotage des avancées réglementaires de ces trente dernières années est en effet à l’œuvre, sous la pression de l’agro-industrie. (...)
Nous, scientifiques, professionnels de santé sommes atterrés par le fait qu’une telle proposition puisse recevoir l’appui de responsables politiques, députés ou gouvernements des États membres.
Combien de pesticides, initialement autorisés et mis sur le marché, révélés ensuite comme étant hautement toxiques à la fois pour la santé humaine et l’environnement, ont été (fort heureusement) retirés du marché ces dernières années lorsque leurs effets dramatiques ont été mis à jour, parfois avec des retards dommageables ?
Les exemples ne manquent pas (...)
Empêcher ces autorisations illimitées
Si la proposition de la commission était adoptée, cela diminuerait de fait la capacité des agences à encadrer la mise sur le marché des pesticides et à surveiller leurs effets sanitaires. Alors que les données scientifiques, médicales, économiques convergent pour justifier un renforcement des agences, un renforcement des contraintes réglementaires sur les pesticides et, plus largement, un soutien aux alternatives aux pesticides.
Nous demandons que le gouvernement français, les parlementaires nationaux et européens mettent tout en œuvre pour qu’une telle proposition ne soit jamais adoptée, et parallèlement, renforcent le rôle et l’indépendance de notre agence sanitaire, l’Anses, pour qu’elle ait les moyens d’une application licite du règlement 1107/2009.
Une décision de la justice administrative exige d’ailleurs de l’État qu’il mette en œuvre une évaluation des pesticides conforme au « dernier état des connaissances scientifiques » et aux « exigences du règlement européen de 2009 » et lui enjoint de réexaminer les autorisations déjà délivrées. La récente décision conjointe du gouvernement et des fabricants de pesticides de se pourvoir en cassation contre cette mesure de santé publique est affligeante.
Les données scientifiques sur les effets cocktails, sur les divers mécanismes de cancérogénicité, sur les effets de perturbation endocrinienne, métabolique et neurologique en particulier lors de périodes de vulnérabilité majeure comme la grossesse, ne doivent plus rester bloquées à la porte des agences : ces effets mettent en danger la santé de millions d’européens et le fonctionnement des écosystèmes. (...)