
Depuis bientôt une année, l’Association des journalistes antiracistes et racisé·es alerte sur le manque de diversité dans les médias français. Retours sur les logiques d’entre-soi qui nourrissent des biais racistes dans la production de l’information.
Dans la majorité des médias français, les comités de rédaction sont principalement composés de personnes blanches. Quelles en sont les conséquences sur le fonctionnement interne des médias et la production de l’information ? On en parle avec Rémi-Kenzo Pagès, un des porte-parole de l’Association des journalistes antiracistes et racisé·es1 (Ajar).
D’où est venu le besoin de créer cette association ?
« On est un groupe de journalistes racisé·es qui s’est constitué publiquement en association en mars 20232. L’idée, c’était de lutter contre le racisme dans notre environnement de travail, où l’on est souvent la seule personne racisée. Cette situation d’isolement complique la création de liens de solidarité quand on fait face à des remarques ou blagues racistes, et à une ambiance générale qui peut être pesante pour nous. Notre activité principale consiste à organiser cette solidarité (on est quand même assez nombreux·ses dans la profession et plus de 200 dans l’association). Mais il s’agit aussi de lutter contre le racisme dans le traitement médiatique. » (...)
« Quand on parle de manque de diversité, on pointe surtout la question de la reproduction sociale. Celle-ci commence dès la sélection des étudiant·es dans les écoles de journalisme, où les quotas de boursier·es mis en place ne suffisent pas. Dans notre profession, l’entre-soi constitue la règle, notamment grâce à la cooptation entre personnes blanches, urbaines et bourgeoises. L’une de nos revendications, c’est que les rédactions rendent leurs offres d’emploi publiques pour briser ce fonctionnement en réseau et donner à d’autres profils l’occasion de postuler. On remarque aussi que quand des journalistes racisé·es passent entre les mailles du filet, elles et ils viennent souvent des catégories les plus favorisées.
Du côté des médias indépendants, les rédactions sont aussi très blanches et ne sont pas exemptes de schémas racistes, quoi qu’elles en disent. On a pu le constater aux États généraux de la presse indépendante à Marseille, et c’était particulièrement flagrant à Paris, quand on observe le public ou les intervenant·es. Ça se ressent dans les échanges : même si l’on a des objectifs communs, on n’a pas forcément les mêmes préoccupations ou priorités. » (...)
« En juin 2020, il y a eu un énorme rassemblement organisé par le comité Adama à la sortie du confinement, les grands médias généralistes de la presse nationale n’ont tout simplement pas couvert l’évènement. Par contre ils n’ont pas eu de souci à couvrir la mort de Georges Floyd aux États-Unis. Quand c’est outre-Atlantique, on parle du racisme, mais on en est incapable en France ? » (...)
« Pour le printemps, on prépare un guide à destination de la profession et des écoles de journalisme. Il y aura un chapitre sur l’islamophobie, le racisme anti-asiatique, l’antisémitisme, et une partie sur les violences policières. On travaille aussi sur deux évènements : l’anniversaire de notre association au printemps, et l’organisation d’une université qui aura lieu à La Friche à Marseille l’automne prochain. Au menu : des ateliers pour se former, des tables rondes pour discuter et la fête pour se rencontrer. »