
Une commission d’enquête sur les défaillances de l’Aide sociale à l’enfance devrait débuter ses travaux début avril. Mardi soir, un « comité de vigilance » d’anciens enfants placés s’est réuni pour organiser la mise sous pression des députés. Objectif : ne pas rater l’occasion d’une réforme radicale.
Après avoir obtenu la création d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale sur les manquements de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), annoncée le 14 mars et qui devrait démarrer début avril, une cinquantaine d’anciens enfants placé·es, réuni·es mardi soir à Paris, ont décidé de s’organiser en « comité de vigilance », pour ne pas dire en « contre-commission ».
Inédite, cette démarche vise à « mettre la pression sur les député·es » et « leur faire peur », résume Tony, étudiant en droit.
Alors qu’au moins 370 000 jeunes sont censés être protégés par l’ASE en France, et que la dénonciation de ses défaillances se heurte au mur de l’indifférence, trois décès ont choqué l’opinion ces derniers mois, bien au-delà du cercle habituel de la compassion passagère. Deux adolescentes de 11 et 15 ans ont été retrouvées pendues, l’une dans son foyer de l’Oise, l’autre dans un hôtel où le département du Puy-de-Dôme l’avait reléguée (en contradiction avec la loi Taquet de 2022) ; une jeune fille de 14 ans, aussi, en proie à des addictions, est morte après avoir fugué de son foyer de Seine-et-Marne. (...)
Usant de leur « droit de tirage » (une commission d’enquête par an), les député·es socialistes ont donc décidé de passer sur le gril le système, devenu maltraitant, de la protection de l’enfance, confiée depuis les années 1980 aux départements. Cette décentralisation est d’ailleurs remise en cause par des militant·es, au motif qu’elle produit des inégalités territoriales, avec des placements ordonnés par des juges, qui peuvent rester un an dans des tiroirs, faute de places. (...)
« On entend toujours dire que les anciens de l’ASE finissent SDF, dans la drogue ou la prostitution, confie Nadia, 24 ans, en stage chez Nespresso. Moi qui ai toujours été dans mon coin, je suis ravie de trouver des gens qui ont une vie normale et des projets ! »
Pour les six mois qui viennent, Lyes Louffok, militant des droits de l’enfant et vice-président des « Oubliés », a un programme tout trouvé : « On va fournir une liste de personnes à auditionner, et si elles ne le sont pas, organiser des “contre-auditions” à l’Assemblée. On a déjà trouvé des députés OK pour nous mettre des bureaux à disposition », assure-t-il à Mediapart, et précisant : « On va regarder toutes les auditions, et s’il y a des mensonges, on signalera ces parjures au procureur. C’est l’intérêt d’une commission d’enquête : les gens sont non seulement contraints de venir, mais ils répondent sous serment ! »
Pour Diodio Metro, petite-fille de tirailleur sénégalais arrivée en France à l’âge de 6 ans, qui a dû fuir par la fenêtre à 17 ans pour échapper à un mariage forcé, « il faut absolument embarquer les travailleurs sociaux avec nous ». Désormais cheffe de service éducatif dans le Val-d’Oise, à 44 ans, elle connaît bien ce secteur en crise, qui n’arrive plus à recruter. (...)
Comme « ancienne », ce qui la révolte : ces départements qui n’appliquent pas les lois votées. « Je voudrais que la commission d’enquête débouche sur un système d’amendes, dit-elle, comme celles imposées aux villes qui ne respectent pas les règles sur le logement social. » (...)
S’il est ravi que huit groupes politiques sur dix à l’Assemblée aient réclamé une commission d’enquête, il s’insurge contre la récupération politique du RN, ce parti qui « multiplie les propositions de loi pour exclure les MNA de l’accueil » (ces mineurs étrangers que la France doit protéger). « C’est une position raciste », dit-il, que des départements tenus par des élu·es Les Républicains ont aussi affichée.
Mais parmi les autres « warnings », Lyes Louffok n’hésite pas à citer le CV d’Isabelle Santiago, la socialiste qui devrait jouer le rôle de rapporteure, longtemps vice-présidente du Val-de-Marne, chargée de la protection de l’enfance. « Ce département a eu une gestion catastrophique, en particulier des jeunes majeurs, juge le militant. Et puis, en 2022, Isabelle Santiago n’a pas voté l’interdiction des placements à l’hôtel... » (...)