
Le magazine en ligne indépendant Jadaliyya, créé par l’Arab Studies Institute (Institut des études arabes, ASI), a publié une tribune exprimant son soutien à l’islamologue français François Burgat, actuellement poursuivi pour apologie du terrorisme. Nous en proposons ici la traduction.
Nous soussignés exprimons notre solidarité avec notre collègue François Burgat, éminent universitaire jugé pour apologie du terrorisme en France. Son premier rendez-vous au tribunal a eu lieu le 24 avril 2025, quelques jours après que le président français Emmanuel Macron, en réaction à la guerre de l’administration Trump contre la liberté académique, a appelé les chercheurs internationaux à « choisir la France ».
François Burgat, spécialiste du Proche-Orient de renommée internationale, est accusé par la police française de faire l’éloge du Hamas dans une série de tweets, dont certains sont des réimpressions littérales de résultats qu’il a publiés il y a des années dans un ouvrage académique1. Le 24 avril 2025, le procureur du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence a requis une peine de huit mois de prison avec sursis, une amende de 4 000 euros, une inéligibilité de deux ans et une interdiction d’accès aux médias sociaux. Le tribunal rendra sa décision le 28 mai 2025. Nous exprimons notre soutien à François Burgat ainsi qu’à toutes les personnes visées par une répression sans précédent contre les discours pro-palestiniens en France. Nous notons également que le fait de juger un chercheur en sciences sociales pour avoir parlé de son expertise n’augure rien de bon pour les chercheurs qui pourraient « choisir la France » pour échapper aux foudres de l’administration américaine. (...)
En France, des centaines de personnes poursuivies
« La France s’engage pour faire rempart face aux attaques que subissent les libertés académiques dans le monde », a déclaré l’Agence nationale de la recherche (ANR) le 18 avril 2025. Pourtant, le territoire français, où l’exécutif s’est attaqué à plusieurs reprises à la liberté académique et à la liberté d’expression, semble faire exception à cette position de principe. Le 9 octobre 2023, la ministre français de l’enseignement supérieur a pressé les présidents d’université de signaler toute apologie du terrorisme aux procureurs. Le lendemain, le ministre de la justice a demandé à tous les procureurs d’engager « fermement et rapidement » des poursuites contre « la tenue publique de propos vantant les attaques [du 7 octobre], en les présentant comme une légitime résistance à Israël, ou la diffusion publique de message incitant à porter un jugement favorable sur le Hamas ou le Djihad islamique, en raison des attaques qu’ils ont organisées ». En conséquence, des centaines d’accusations d’apologie du terrorisme ont été déposées contre des étudiants, des militants, des universitaires et d’autres citoyens, dont 626 entre le 7 octobre 2023 et le 30 janvier 2024 seulement2.
Avant 2014, l’apologie du terrorisme était considérée comme un abus de la liberté d’expression et était incluse dans la loi sur la presse, ce qui rendait les poursuites ou la répression plus difficiles d’un point de vue procédural. La loi antiterroriste du 13 novembre 2014 a rendu les poursuites plus rapides et plus faciles, a étendu le délai de prescription de trois mois à trois ans, a permis aux forces de police de garder les suspects en détention et a puni l’apologie du terrorisme — ainsi que l’incitation au terrorisme — par de longues peines de prison (jusqu’à sept ans) et de lourdes amendes (jusqu’à 100 000 euros). Le fait que la loi de 2014 soit désormais utilisée pour réprimer les opinions politiques, et en particulier celles qui sont favorables aux Palestiniens, aurait choqué même son auteur, l’ancien ministre français de l’intérieur.
Nous trouvons très préoccupant qu’un chercheur en sciences sociales qui a passé la majeure partie de sa carrière à étudier les mécanismes de la radicalisation islamiste soit poursuivi pour apologie du terrorisme. Nous pensons que cette dangereuse restriction des libertés académiques fondamentales menace le monde universitaire français dans son ensemble. En plus de décourager les chercheurs étrangers qui pourraient « choisir la France », elle pourrait également faire fuir les scientifiques qui, travaillant actuellement en France, pourraient trouver d’autres environnements académiques moins pénalisants. Nous craignons surtout que, si la droite dure remporte la prochaine élection présidentielle française, le passage absurde de la lutte contre l’antisémitisme au financement de la science, qui a commencé aux États-Unis par une attaque en règle contre les études sur le Proche-Orient, ne se produise également ici. Si tel est le cas, il faudra plus qu’une courtisanerie présidentielle pour attirer les universitaires étrangers dans un pays où « un seul mot de soutien à la Palestine peut vous conduire en prison ». (...)