
En Tunisie, la cyberviolence, qui touche particulièrement les femmes et les adolescentes, prend des proportions inquiétantes. France 24 met en lumière les impacts de ces violences numériques sur les victimes, ainsi que les initiatives pour les protéger, montrant l’urgence de réformes adaptées pour renforcer le cadre législatif face à ce fléau.
Si les formes de harcèlement physique sont désormais mieux reconnues, les violences en ligne restent encore difficiles à combattre. En Tunisie, comme ailleurs, de nombreuses femmes en sont victimes. En 2024, des enquêtes menées par le Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa) révèlent que 60 % des femmes interrogées ont été victimes de violence numérique dans le monde. Parmi elles, 31 % ont subi du harcèlement sexuel en ligne et 24 % ont été confrontées à un mélange de harcèlement et d’intimidation, incluant parfois chantage, divulgation non autorisée de données personnelles et menaces directes. Facebook, utilisé par 91 % des agresseurs numériques, est la principale plateforme concernée. Ces données, présentées par Wafa Dhawadi, de l’Unfpa, lors d’un colloque en juillet 2024 à Hammamet Sud, illustrent l’ampleur du phénomène en Tunisie. Face à cette menace qui prend des proportions alarmantes, elle souligne la nécessité de mettre en place des mesures urgentes.
Le calvaire des victimes
Pour les victimes, l’impact du cyberharcèlement va bien au-delà des écrans. "Au début, je pensais que ce n’étaient que des mots en ligne, mais rapidement, cela a envahi ma vie quotidienne," déplore une victime, sous couvert d’anonymat. (...)
Cette difficulté à obtenir justice est un problème récurrent, comme en témoigne l’expérience de la militante féministe Feryel Charfeddine. Ciblée en 2017 par des attaques en ligne pour son travail d’activiste, elle raconte son expérience dans une interview à Global Voices, un réseau international dont le but est d’amplifier les voix et les communautés sous-représentées en partageant des récits issus de blogs et de réseaux sociaux à travers le monde. "En tant que victime de discours haineux en ligne, j’ai signalé à Facebook les contenus inappropriés qui me ciblaient. La plateforme n’a réagi qu’à partir du moment où j’ai lancé une procédure avec l’assistance du service d’aide Helpline de Access Now, une plateforme d’assistance pour la sécurité numérique. Et c’est pourquoi beaucoup de victimes préfèrent quitter Facebook. Ce n’est pas un lieu sûr pour les femmes." Une expérience qui illustre le manque de réactivité des plateformes face aux signalements de harcèlement, et l’isolement ressenti par celles qui le vivent.
Des cyberviolences en perpétuelle évolution (...)
les harceleurs ne se contentent plus de simples insultes. Le doxxing (exposition de données personnelles), le revenge porn (partage de contenu intime sans consentement) ou le cyberstalking (surveillance en ligne), se multiplient, souvent favorisés par l’anonymat des plateformes. "Ils exploitent la diversification des réseaux sociaux et les outils technologiques pour garder l’anonymat et agir sans être identifiés," explique-t-elle. "Ce phénomène, soutenu par l’utilisation d’outils comme les VPN, permet de contourner les mécanismes de traçabilité."
En tant que formatrice, Zouhour Ouamara anime des ateliers à destination des associations qui défendent les droits des femmes et des professionnels du droit, notamment les avocats. Ces formations visent à mettre en lumière la spécificité des crimes technologiques, à bien cerner ces infractions et à apprendre à traiter les données personnelles de manière sécurisée. (...)
"La lutte contre le cyberharcèlement exige des compétences techniques, mais aussi une vigilance collective et une réelle solidarité" (...)
Un cadre juridique inadapté
Sur le plan législatif, la lutte contre le cyberharcèlement reste complexe en Tunisie. Selon l’avocat Adam Mokrani, le Code pénal et le Code des télécommunications tunisiens sont mal adaptés aux réalités numériques actuelles. "Le Code pénal tunisien n’intègre pas de définition précise du cyberharcèlement, s’appuyant plutôt sur des dispositions générales pour réprimer les abus en ligne," explique-t-il. Cette imprécision rend les poursuites ardues. (...)
Pour Me Mokrani, une réforme législative est urgente. "Une législation spécifique qui définirait clairement le cyberharcèlement sous toutes ses formes, de la diffusion non consensuelle d’images intimes au harcèlement collectif en ligne, serait un premier pas pour mieux protéger les victimes." Il recommande également une formation renforcée pour les acteurs judiciaires et les forces de l’ordre, afin de garantir une application cohérente des nouvelles dispositions et une meilleure prise en charge des victimes.
Le cyberharcèlement, invisible pour beaucoup, est une réalité violente pour celles et ceux qui le subissent. À l’heure où l’accès aux réseaux sociaux est quasi universel, les risques qu’ils présentent sont devenus aussi graves que leurs avantages. Près d’un tiers des femmes et 37 % des adolescentes en Tunisie en subissent les conséquences, selon une enquête de l’INS (Institut National de la Statistique) réalisée fin 2022. Les prédateurs sexuels en ligne manipulent souvent des enfants pour obtenir des informations personnelles, promettant des récompenses matérielles. Ces données sont ensuite exploitées pour les piéger, les rendre dépendants, voire les inciter à des comportements répréhensibles. Encore plus que les adultes, les enfants hésitent à dénoncer ces abus, par peur ou ignorance. Pour y remédier, le ministère de la Femme a renforcé le numéro vert 1809, qui permet de signaler ces actes, avec un suivi assuré par les commissaires à la protection de l’enfance. Parallèlement, la prévention passe aussi par les parents, en surveillant les activités en ligne de leurs enfants et en dialoguant avec eux sur les dangers d’Internet. (...)