Depuis 2020, sur décision de Didier Lallement, les consignes données aux policiers sont beaucoup plus souples en région parisienne que partout ailleurs en France. Quitte à augmenter les risques d’accidents, comme le rappelle le décès du jeune Wanys R. à Aubervilliers.
Le 13 mars à Aubervilliers, Wanys R., 18 ans, est mort dans la collision entre son scooter et une voiture de police banalisée qui arrivait en sens inverse. Son passager, Ibrahim H., souffre d’une fracture du bassin et de la cheville. Les deux jeunes hommes étaient alors poursuivis par un autre équipage de la brigade anticriminalité (BAC) après un refus d’obtempérer.
Depuis, la famille de Wanys R. et le passager qui a survécu ont déposé plainte. Ils accusent le conducteur de la voiture de police d’avoir volontairement percuté les deux jeunes pour les faire tomber. (...)
Pour quelle raison le premier équipage de la brigade anticriminalité a-t-il voulu contrôler le scooter ? Pourquoi a-t-il ensuite décidé de le prendre en chasse, jusqu’à cette collision avec une deuxième voiture de police venue en renfort ? Pour reprendre le titre d’une « fiche pratique » diffusée au sein de la police nationale depuis 2019 sur les accidents graves lors de courses-poursuites, « le jeu en vaut-il la chandelle ? »
Dans un communiqué diffusé le lendemain des faits, le parquet de Bobigny indiquait que le deux-roues avait « [refusé] un contrôle de police et [pris] la fuite en commettant de multiples infractions au Code de la route », sans les détailler. Contacté par Mediapart, le parquet précise que le contrôle était initialement motivé par le franchissement d’un feu rouge (...)
La note de 2020, une rupture
S’exprimant le 18 mars sur cette affaire « dramatique », le préfet de police de Paris a jugé « normal que les policiers engagent des courses-poursuites quand il y a des refus d’obtempérer ». « En tout cas, c’est les instructions que je passe », a ajouté Laurent Nuñez, rappelant qu’il y a « un certain nombre de règles à respecter », comme « prévenir la salle de commandement », ce qui « a été fait ce soir-là » selon lui.
À quelles « instructions » et quelles « règles » fait référence Laurent Nuñez ? En région parisienne, les courses-poursuites engagées par la police sont encadrées par une note succincte du 3 juillet 2020, signée par son prédécesseur Didier Lallement et consacrée à « l’interception des véhicules ». Ce document, à lire ci-dessous, élargit les possibilités de courses-poursuites. Il contraste avec les consignes de prudence données aux policiers dans tout le reste du territoire national, comme avec celles qui étaient en vigueur, jusque-là, en région parisienne. (...)
« Désormais, la poursuite des véhicules refusant d’obtempérer aux injonctions de s’arrêter des effectifs de police pourra être engagée par un équipage », écrit le préfet Lallement, qui fait confiance au « discernement » des policiers. On passe d’un régime d’interdiction, sauf exceptions énumérées, à un régime où les policiers peuvent décider eux-mêmes de prendre en chasse un véhicule s’ils l’estiment nécessaire. À condition toutefois d’en référer à leur hiérarchie, qui peut leur ordonner d’abandonner la poursuite.
Ces consignes s’appliquent uniquement dans le ressort de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP), c’est-à-dire à Paris, dans les Hauts-de-Seine, dans le Val-de-Marne et en Seine-Saint-Denis. À l’époque, la décision du préfet Lallement est applaudie par les syndicats de police. Elle répond à une demande de la corporation policière, alors que le débat sur les « refus d’obtempérer » commence à se tendre. (...)
Depuis un an, plusieurs accidents graves sont survenus en France lors de courses-poursuites avec la police. En avril 2023, trois adolescents ont été sérieusement blessés à Paris au terme de l’une d’entre elles, qui a duré à peine deux minutes.
Le policier qui conduisait le véhicule a été mis en examen pour « violences » et « faux en écriture publique ». Sept témoins oculaires ont attesté d’un choc entre sa voiture et le scooter, alors que l’agent avait d’abord nié tout contact. Alors que leur station directrice leur demandait de « cesser la chasse ou passer immédiatement sur [la fréquence radio dédiée] », les policiers n’ont fait ni l’un ni l’autre. Devant les enquêteurs, tous trois ont affirmé ne pas connaître les consignes préfectorales sur les refus d’obtempérer.
En août, deux jeunes à scooter sont morts après avoir percuté un véhicule en essayant d’échapper à un contrôle de police à Limoges. En décembre, deux adolescents de 17 ans sont morts à Chelles (Seine-et-Marne) quand leur scooter a glissé sur une chaussée humide. Ils étaient poursuivis par des policiers après avoir grillé un feu rouge et refusé de s’arrêter. Une semaine plus tard, un homme de 22 ans, en possession d’une petite quantité de stupéfiants, est décédé dans des circonstances similaires à Marseille.