
À la fin des années 2000, les Palestiniens décident de placer le droit international au centre de leur combat. Cette stratégie a conduit à ce que le premier ministre israélien soit sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale. Mais elle n’a aucunement stoppé ou ralenti la guerre
Il aura fallu presque vingt ans et des dizaines de milliers de mort·es à Gaza, mais la justice internationale a fini par inscrire la Palestine à son agenda. Cette semaine encore, la Cour internationale de justice (CIJ), basée à La Haye (Pays-Bas), a mené des audiences consacrées au blocus total, imposé par Israël, sur l’aide entrant dans le territoire palestinien depuis 61 jours.
En décembre, l’Assemblée générale des Nations unies avait adopté une résolution demandant à la CIJ de rendre un avis consultatif afin de clarifier les obligations humanitaires d’Israël. En mai 2024, la cour avait demandé à l’État israélien d’« arrêter immédiatement son offensive militaire » en cours depuis le 6 mai dans la ville de Rafah.
En juillet 2024, la CIJ avait aussi rendu un avis consultatif jugeant « illégale » l’occupation israélienne des territoires palestiniens, exigeant qu’elle cesse dès que possible.
Surtout, le 21 novembre 2024, la Cour pénale internationale (CPI) a émis trois mandats d’arrêt contre Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien, Yoav Gallant, son ancien ministre de la défense, et Mohammed Deïf, chef de la branche armée du Hamas, qui a été déclaré mort depuis, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
La décision a été prise plus de six mois après la requête déposée par le procureur Karim Khan. Entre-temps, deux des responsables du Hamas également visés par la Cour, Ismaïl Haniyeh, son chef, et Yahya Sinouar, l’architecte des attaques du 7-Octobre qui avait pris sa succession, ont été tués. La justice internationale passe alors un test crucial pour sa crédibilité : même les alliés des puissants, à l’instar d’Israël, largement protégé par les États-Unis, ne sont pas à l’abri des juges.
Les défenseurs et défenseuses des droits humains ont unanimement salué la décision (...)
un « rare moment d’euphorie », comme le décrit sur le réseau social X Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés. Elle rappelle le « travail inébranlable des organisations palestiniennes des droits humains », le Centre palestinien pour les droits humains (PCHR), Al-Haq, le Centre Al Mezan pour les droits humains, Addameer, Défense des enfants International-Palestine (DCIP), « sans lesquelles l’espoir suscité par la décision de la CPI aujourd’hui n’aurait pas vu le jour ».
Dans un communiqué commun, ces ONG regrettent alors la lenteur du processus, tout en estimant que « les mandats d’arrêt rappellent avec force que la quête de justice pour le peuple palestinien, aussi longue soit-elle, n’est jamais vaine ». Parmi les artisans de cette victoire, Raji Sourani, aujourd’hui exilé au Caire (Égypte), est l’un des premiers à avoir poussé le dossier palestinien sur le bureau des juges de La Haye.
L’avocat gazaoui, qui a fondé le PCHR, a d’abord tenté de faire condamner les responsables israéliens devant leurs tribunaux, en Israël – en vain. (...)
Il invoque le principe de compétence universelle pour tenter de faire juger des Israéliens dans les cours de justice européennes. Les pressions politiques ont raison de sa ténacité – les responsables israéliens finissent toujours par échapper à leur arrestation.
Où juger les responsables israéliens ? (...)
En mars 2021, la procureure annonce l’ouverture d’une enquête à propos de la situation en Palestine. En mai 2024, juste avant de déposer sa requête devant les juges, son successeur, le Britannique Karim Khan, publie un communiqué exigeant que « cessent immédiatement » toutes les « tentatives visant à entraver, à intimider ou à influencer » les employé·es de son bureau. Le procureur est par ailleurs aujourd’hui sous le coup d’une enquête, accusé de comportements sexuels inappropriés.
Pendant les mois qui suivent la requête de Karim Kahn, des pays alliés d’Israël et différentes organisations ont tenté d’empêcher l’émission des mandats d’arrêt. (...)
L’Afrique du Sud a saisi la Cour internationale de justice (CIJ) le 29 décembre 2023, accusant Israël de perpétrer un génocide dans l’enclave. Plusieurs pays ont depuis rejoint cette procédure : la Bolivie, la Colombie, l’Espagne, la Libye et le Mexique. La CIJ a aussi rendu un avis consultatif le 19 juillet 2024 qui « balaie à peu près toutes les problématiques juridiques qui se posent dans ce conflit », analyse la chercheuse Insaf Rezagui : « Elle y parle de l’occupation, de la colonisation, de la violence des colons, de l’accaparement des terres… » Des plaintes sont déposées devant des tribunaux européens. En France, un soldat franco-israélien est ainsi accusé de « crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide, torture ».
Remplacer le politique par le droit
Malgré ces offensives judiciaires, les bombes écrasent toujours la bande de Gaza, menacée par la famine puisque plus aucune aide n’y entre depuis le 2 mars. Plus de 51 000 Palestinien·nes y ont été tué·es en un an et demi, et la Cisjordanie est elle aussi à feu et à sang.
« Les charges de la CPI ne vont pas assez loin. Ils ont enlevé la question de l’extermination, que voulait garder le procureur, et la question du génocide n’est pas du tout posée, note Insaf Rezagui. Un certain nombre de dirigeants israéliens ne sont pas mis en accusation, comme Bezalel Smotrich. » Ce dernier, ministre suprémaciste juif, juge « qu’il serait justifié et moral » d’affamer Gaza. Début avril, la Hongrie s’est retirée de la CPI et a reçu le premier ministre israélien. Certains pays alliés d’Israël, dont la France, ont fait comprendre qu’ils pourraient envisager de contourner l’obligation d’arrêter Benyamin Nétanyahou sur leur sol.
L’inflation du langage juridique autour de Gaza et des Territoires palestiniens occupés éclipse le débat politique. « L’Autorité palestinienne utilise cette stratégie car elle lui permet de valoriser son image positive à l’international, d’être considérée comme l’interlocuteur principal de l’Europe et des États-Unis, et donc de se maintenir au pouvoir », note Insaf Rezagui.
Pendant ce temps, sur le terrain, Israël avance la colonisation et l’annexion de la Cisjordanie ; toute négociation politique a été abandonnée (...)