
Il y a 50 ans, le plus grand scandale politique de l’après-guerre éclatait aux États-Unis. Pierre-Emmanuel Metzger-Debrune, doctorant en sociologie, revient sur les répercussions de cette enquête avant d’analyser les évolutions du journalisme d’investigation aujourd’hui.
Le 7 février 1973, la majorité démocrate du Sénat ouvre une enquête sur le financement de la campagne électorale du président états-unien d’alors, Richard Nixon, dans l’affaire du Watergate. C’est le début d’une procédure parlementaire qui va contraindre le chef d’État à la démission, le 8 août 1974.
À l’origine du plus grand scandale politique de l’après-guerre, les révélations de deux journalistes du Washington Post, qui découvrent l’implication de la Maison-Blanche dans l’intrusion au siège du Parti démocrate américain, en pleine campagne présidentielle et législative. L’enquête à tiroirs de Bob Woodward et Carl Bernstein dévoile que les faux plombiers arrêtés pour s’être introduits la nuit du 17 juin 1972 dans l’immeuble du Watergate, équipés d’appareils photo et de matériel d’écoute, agissaient sur ordre. (...)
le scandale du Watergate inaugure une nouvelle approche journalistique, plus critique de l’action publique, soucieuse d’échapper à la communication politique et de percer les secrets inavouables des puissances d’État. (...)
Pierre-Emmanuel Metzger-Debrune : (...)
le Watergate envoie un signal très fort aux journalistes, celui qu’une enquête très fouillée peut déboucher sur la démission du personnage le plus puissant du monde, le président des États-Unis, Richard Nixon. Il donne l’indication qu’aucune personne ou institution, dans un régime démocratique, n’est à l’abri de la critique, de la remise en cause de son action.
Évidemment, le travail des journalistes produit des effets à la condition que des contre-pouvoirs et des procédures soient déjà installés afin de prendre le relais des révélations. (...)
Au fond, le Watergate est un tournant en ce qu’il affirme pour de bon l’importance du secret des sources. Ce qui était à ce moment-là une pratique encore remise en cause, à savoir le fait de tenir des informations confidentielles de sources anonymes, s’impose désormais comme une nécessité démocratique. (...)
Le Watergate suscite un véritable engouement pour le journalisme d’investigation aux États-Unis (...)
les journaux qui font la part belle à l’investigation se vendent assez bien, les tirages augmentent et le public américain se découvre un intérêt pour les révélations sur les élites politiques et économiques du pays. (...)
de nombreux journaux créent des postes d’enquêteurs et les encouragent à investiguer sur les arcanes du pouvoir (...)
En France, le journalisme d’investigation connaît un essor tardif. Pourquoi ?
En effet, pendant longtemps, Le Canard enchaîné est l’un des seuls journaux à pratiquer l’investigation, au point de détenir une sorte de monopole sur la révélation dans les années 1970. Il faut attendre les années 1980 pour voir Le Monde contester ce monopole, sous l’impulsion notamment d’Edwy Plenel [par ailleurs cofondateur et président de Mediapart – ndlr], grâce aux affaires des « Irlandais de Vincennes » et du Rainbow Warrior. (...)
En France, il est possible de critiquer l’action du chef de l’État et des différents ministres, mais les conditions ne semblent pas réunies pour que la critique soit reçue et suivie d’effets. Par exemple, la Constitution de la Vᵉ République est conçue de telle sorte qu’il est très difficile de contraindre le président à reconnaître une faute ou à le conduire à la démission, contrairement aux États-Unis (...)
Que les services de renseignement espionnent des journalistes en France, cela ne semblait pas poser problème, puisqu’en l’absence d’institutions et de contre-pouvoirs bien conçus, les révélations des journalistes produisent peu d’effets. (...)
ces dernières années, les personnes ayant intérêt au secret et à la confidentialité des échanges œuvrent pour recréer les conditions de ce secret. Or, pour qu’un journaliste enquête, il faut évidemment que des sources soient prêtes à parler. Sauf que dans un écosystème où de plus en plus de mesures visent à affaiblir le secret des sources, au nom du secret des affaires ou de la sûreté nationale, des informateurs pourraient être dissuadés de prendre des risques et de communiquer aux journalistes des informations d’intérêt public. C’est en tout cas le dangereux signal envoyé par la perquisition et le placement en garde à vue de la journaliste Ariane Lavrilleux.
Mais ce n’est pas la seule menace qui pèse sur l’avenir de l’investigation journalistique. La concentration capitalistique des médias en est une autre (...)
L’autocensure est aussi un problème. Des journalistes renoncent à lever le voile sur certaines réalités, par crainte d’être inquiétés ou censurés par leur hiérarchie.
Et puis, des risques techniques menacent aussi de plus en plus le secret des sources avec l’émergence de logiciels espions comme Pegasus ou Predator, parfois utilisés contre des journalistes. (...)
Les techniques du secret sont extrêmement coûteuses, et ces coûts sont beaucoup plus facilement supportés par des multinationales que par des journalistes (...)
Malgré tout, certains journalistes et médias tentent de maintenir les conditions pour créer le scandale politique ou financier, car il existe toujours une demande très forte pour ce type d’enquêtes.