Dans son roman qui sort mi-août, « Les Derniers Jours du Parti socialiste », l’écrivain Aurélien Bellanger dresse la fresque d’une nébuleuse qui a conquis jusqu’au sommet de l’État et constitué une passerelle des « élites » aux succès électoraux du Rassemblement national.
« Il va sortir trop tard hélas mais j’ai écrit un livre qui raconte comment une hérésie du Parti socialiste, le Printemps républicain, entouré d’un groupuscule d’intellectuels médiocres, aura rendu possible la victoire de l’extrême droite en France. » Publié sur le réseau social X, à la veille d’élections législatives auxquelles le RN est en bonne position pour accéder au pouvoir, le post de l’écrivain Aurélien Bellanger nous avait intrigué.
Nous avons donc lu son livre, Les Derniers Jours du Parti socialiste, qui va sortir mi-août au Seuil. Roman à clés, puissamment satirique, il retrace l’ascension du Printemps républicain, le mouvement de défense de la laïcité lancé par des proches de Manuel Valls au lendemain des attentats de 2015. (...)
Au travers de doubles, assez transparents, de Laurent Bouvet, Philippe Val, Raphaël Enthoven, Caroline Fourest, il suit les évolutions de cette nébuleuse qui se vit comme une néo-maçonnerie garante des piliers républicains et qui porte en elle le glissement de plus en plus islamophobe et autoritaire d’un gouvernement, de médias, de hauts fonctionnaires de plus en plus acquis à ce discours. (...)
Parce qu’il a connu de près cette nébuleuse, et qu’il a pu être initialement sensible à leur discours, la fresque d’Aurélien Bellanger est d’autant plus cruelle et juste. Et tombe effectivement à pic, au moment où certains prônent un « front républicain » contre la gauche. Entretien. (...)
Aurélien Bellanger : Depuis quelque temps, je n’avais plus de doute sur le fait que tout ça allait mal finir, c’est pour cela que j’ai voulu écrire ce livre. Mais j’avais l’idée que ce serait plutôt dans trois ans…
Je crois que jusque-là – et j’ai participé aux mobilisations de 2002 contre le FN –, une victoire de l’extrême droite restait un peu théorique. C’est sans doute lié au fait qu’étant un homme blanc assez privilégié, je ne suis pas en première ligne.
Pourtant, depuis l’élection de Trump, on sait que c’est possible qu’un pays bascule du jour au lendemain.
La particularité du moment que nous vivons, c’est qu’on pouvait à la fois redouter depuis un certain temps une victoire de l’extrême droite et en même temps faire le constat d’un tel durcissement de la politique actuelle, avec la reprise de tout un pan législatif du programme de l’extrême droite, qu’on pouvait aussi se demander si elle n’était pas déjà en partie en train d’advenir sous nos yeux.
Bon, en vérité, on s’en est bien sorti, cette fois-ci. Mais on sait historiquement que les victoires des Fronts populaires ne sont pas des garanties que tout se passera bien dans les années qui viennent (...)
Pourquoi avoir voulu écrire sur le Printemps républicain, ce mouvement qui se présente comme défenseur de la laïcité « assiégée » ?
En termes d’agitation intellectuelle, le Printemps républicain a été l’un des faits majeurs de ces dix dernières années. Et puis je trouvais plus intéressant d’écrire sur les miens, c’est-à-dire sur le basculement d’une partie de la gauche vers l’extrême droite.
Plutôt que de faire l’éternel procès du libéralisme d’une certaine gauche, je voulais raconter comment une certaine gauche avait été le lieu de la réinvention d’une sorte de néoracisme. Raconter ces gens qui, depuis dix ans, répètent qu’ils sont la vraie gauche et que la gauche est devenue folle, « racialiste », « islamo-gauchiste »...
On a encore vu dimanche l’une des membres éminentes du Mouvement [Caroline Fourest – ndlr], sur le plateau de France 2 le soir des résultats. Et on apprend aujourd’hui qu’on lui a attribué la légion d’honneur. J’aurais voulu que la victoire soit aussi contre cette ligne politique délétère. (...)
Le Gabriel Attal de la rentrée de septembre, avec l’interdiction de l’abaya, c’est aussi du 100 % Printemps républicain. Ce n’est pas une prise de pouvoir léniniste mais gramscienne, par la bataille culturelle, comme je le raconte dans le livre.
Ce qui m’a amusé aussi, c’était leur côté néo-franc-maçonnerie, société secrète. C’était très romanesque. (...)
Après les attentats, il était normal de dire que la laïcité était à défendre. Il était possible de ne pas voir ce qui était pourtant en germe dans le discours du Printemps républicain : que lorsqu’on commence à trouver qu’il y a un problème avec les femmes voilées dans la rue, la théorie du « grand remplacement » arrive juste derrière. (...)
La trahison des élites est un fait majeur de cette séquence. Qu’il y ait du racisme en France, d’accord, mais qu’il soit porté, relayé, par des médias, y compris mainstream, et par le gouvernement, c’est le fait le plus grave.
Toutes les paniques morales qu’ils ont agitées sur le wokisme, l’islamo-gauchisme, ont abouti à la situation dans laquelle nous sommes.
L’idée, par exemple, que ceux qui parlent de racisme sont les vrais racistes aujourd’hui, véhiculée par quelqu’un comme Rachel Khan, a triomphé dans les médias.
D’une certaine façon, la posture de ces « intellectuels » est encore plus grave que celle des éditorialistes de CNews. Car ils emportent tous ceux qui croient à leurs lumières bien plus loin du champ républicain qu’ils ne le croient. (...)
Au moment où la gauche avait à nouveau quelque chose de pertinent à dire, j’ai été frappé que le Printemps républicain cherche à la « canceler » en expliquant qu’elle trahissait ses valeurs universalistes.
Voir aujourd’hui un journal comme Franc-Tireur, qui a fabriqué les conditions de la victoire du RN, faire une « une » « anti-RN » avec un petit astérisque, bien sûr, pour dire de ne pas voter LFI, cela a quelque chose de pathétique. (...)
Je pense que la mainmise de Val sur Charlie Hebdo est un sale coup idéologique majeur qui est arrivé à la gauche. Quelqu’un qui serait dégelé des années 1970 ne comprendrait pas le statut de ce journal qui passe d’une bannière de l’extrême gauche au soutien des néoconservateurs. (...)
D’un point de vue romanesque, c’était aussi drôle de montrer un Philippe Val, homme sans humour qui défend l’humour, à la tête d’un journal satirique qui ne supporte pas la satire. (...)
Nous nous sommes, et c’était le plus important, concentrés sur la possible victoire du RN, mais quid effectivement de Macron ? Son plan se déroule sans accroc. Les partis achèvent de voler en éclats. Et de façon encore plus perverse quand on commence à parler d’une grande coalition de Tondelier à Attal… On se dit que son entreprise de destruction totale des partis n’est pas encore finie. Il abat peut-être sa dernière carte.
J’interroge effectivement dans le livre son virage autoritaire, bonapartiste. Et j’avoue que j’ai été un peu sidéré par ce qu’Arié Alimi a récemment raconté sur le président qui le reçoit en lui citant Carl Schmitt, théoricien nazi de l’état d’urgence. Que Macron se soit dit : « Tiens, je vais recevoir un défenseur des droits de l’homme juif et je vais lui citer en allemand à l’oreille un philosophe nazi », c’est fou. On devrait se poser des questions sur la suite de son mandat.