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Mediapart
Combats en Syrie : « La situation est en train d’échapper au contrôle d’Ahmed al-Charaa »
#Syrie
Article mis en ligne le 12 mars 2025
dernière modification le 10 mars 2025

Dans un entretien à Mediapart, l’universitaire franco-syrien Aghiad Ghanem décrit le profil des « entrepreneurs de violence » qui s’affrontent depuis jeudi dans l’ouest de la Syrie. Un « moment très critique » pour le président Ahmed al-Charaa.

Le président syrien de transition Ahmed al-Charaa a appelé dimanche 9 mars à « l’unité nationale [et à] la paix civile autant que possible », quatre jours après le début de violents combats entre des groupes armés liés à l’ancien régime des al-Assad et des forces proches du nouveau pouvoir en place à Damas.

Ces affrontements se sont déroulés sur la côte syrienne et dans les montagnes environnantes de Lattaquié, fief du clan al-Assad et berceau de la minorité alaouite du pays, une branche de l’islam chiite. D’après le bilan publié samedi par l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), au moins 1 018 personnes ont été tuées, dont 745 civil·es alaouites.

« Les tueries de civils dans les zones côtières du nord-ouest de la Syrie doivent cesser, immédiatement », a déclaré dimanche Volker Türk, le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme (...)

Dans un entretien à Mediapart, le Franco-Syrien Aghiad Ghanem, docteur en relations internationales et enseignant à Sciences Po, décrit le profil des « entrepreneurs de violence » qui s’affrontent depuis jeudi. Il regrette aussi que le nouveau pouvoir d’Ahmed al-Charaa n’ait pas suffisamment travaillé à la paix civile depuis son arrivée au pouvoir, en offrant notamment de véritables gages d’inclusion aux alaouites. (...)

Aghiad Ghanem : Nous sommes dans un moment très critique. Il reste encore des factions loyalistes pro-Assad armées. Il reste de l’autre côté des factions islamistes très radicales. Leur discours idéologique et doctrinal justifie le massacre des alaouites, en raison de certaines fatwas passées, notamment celles du savant théologien du XIVe siècle Ibn Taymiyya, qui les décrivent comme les pires mécréants possibles. Malheureusement, le nouveau pouvoir, à ce stade, n’a pas réussi complètement à maîtriser ces factions. (...)

Il y a donc une situation de dérive par le bas, par des factions liées au pouvoir qui confondent les soutiens de l’ancien régime et les alaouites en général, de manière abusive.

Les témoignages se multiplient sur les exactions commises à l’encontre de civils alaouites. Ces exactions échappent-elles au contrôle du nouveau pouvoir à Damas ou, au contraire, révèlent-elles quelque chose de la nature de ce pouvoir ?

Je pense que cela lui échappe. Ce sont des factions très radicalisées que le nouveau pouvoir n’a pas réussi à dissoudre au sein d’une armée régulière. À la fin janvier, dans un contexte déjà tendu, le nouveau pouvoir était parvenu à leur faire quitter la région, pour éviter justement, peut-être, ce qui aurait pu devenir un bain de sang. Mais ces factions ont malheureusement de nouveau déferlé sur la ville ces derniers jours. Elles massacrent des alaouites par centaines, et tuent aussi des agents de sécurité du nouveau gouvernement. C’est en train d’échapper au contrôle d’Ahmed al-Charaa. (...)

on sort de cinquante-quatre ans de dictature et quatorze ans de guerre civile, et le nouveau pouvoir a prévu une unique journée de conférence sur le dialogue national. Mais une seule journée de dialogue ne peut pas rétablir la confiance et la vérité sur cinquante-quatre années de dictature et quatorze de guerre civile.

Je sais bien que le contexte est très difficile, avec des criminels de guerre proches des al-Assad d’un côté, des factions islamistes de l’autre. Mais je pense tout de même qu’il y a eu un manque de volonté de la part du nouveau pouvoir. Nous n’avons pas vu les gages d’inclusion proposés, notamment, aux alaouites. C’est d’autant plus dommageable que les alaouites étaient tout à fait disposés à soutenir cette transition. Là, ils ne le sont sans doute plus.

À présent, le défi est double : maîtriser ces entrepreneurs de violence, des deux côtés, et engager un dialogue dense pour qu’au moins, face à ce type d’événements, il existe les ressorts d’une résilience civile entre les Syriens.