 
	Pour protester contre la présence d’institutions israéliennes dans l’organisation d’un colloque sur les « histoires juives de Paris », cinq chercheurs ont choisi de se retirer, au regard des massacres en cours à Gaza. Rachida Dati les a menacés de sanctions pénales.
A priori, peu de choses prédestinaient le colloque universitaire intitulé « Les histoires juives de Paris. Historiographies, sources et recherches en cours » à se transformer en affaire d’État. Rassemblant d’éminents spécialistes du Moyen Âge et de l’époque moderne, la rencontre qui se tient les 15 et 16 septembre au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (mahJ) et à la bibliothèque de l’Arsenal affiche l’ambition d’éclairer un pan de l’histoire généralement occulté du récit national. (...)
Mais mercredi dernier, le mahJ publie un communiqué expliquant que « pour la première fois depuis sa création en 1998, le musée d’Art et d’histoire du judaïsme voit un des colloques scientifiques qu’il coorganise boycotté par des chercheurs ». Cinq chercheurs, sur les vingt-cinq initialement invités, ont en effet annoncé cet été leur volonté de ne pas participer à l’événement. Notamment en raison du partenariat affiché sur le programme de trois institutions israéliennes : l’université hébraïque de Jérusalem, l’Israel Science Foundation et le laboratoire Contending with Crises. (...)
« Certains ont argué du fait que leur participation équivalait à soutenir le gouvernement israélien. Dʼautres ont paradoxalement justifié ce retrait par une motion refusant les partenariats institutionnels tout en rejetant le boycott des chercheurs. Dʼautres ont simplement fait référence à la guerre à Gaza pour remettre en cause les modalités dʼorganisation du colloque. Dʼautres, enfin, se sont désistés sans motif explicite », assure le communiqué du musée, présidé par Dominique Schnapper.
Emballement
« Ce colloque est préparé depuis 2024, et ces chercheurs avaient accepté de participer de longue date », précise à Mediapart le directeur du musée, Paul Salmona. Il pointe le décalage entre le thème du colloque et le motif de ces désistements. « L’histoire des juifs en France au Moyen Âge et à l’époque moderne reste une histoire largement méconnue… Cela n’a rien à voir avec la guerre à Gaza. »
Très vite après la publication du communiqué du mahJ, l’affaire s’emballe. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) publie un communiqué s’insurgeant contre un « climat d’intimidation intellectuelle qui s’installe dans le monde intellectuel et dans le monde de la culture », et déplorant une « hégémonie culturelle de l’obsession et de la détestation d’Israël ». Interrogé sur CNews, Yonathan Arfi, président du Crif, demande que ces chercheurs « soient lourdement sanctionnés ».
La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) dénonce de son côté « un crachat idéologique […] allant à l’encontre de toutes les traditions académiques » et « s’attaquant au principe même de la circulation des savoirs ». Enfin la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler invite sur le réseau X à rendre publics les noms des intervenants.
« Trop, c’est trop ! », tonne dans la foulée la ministre de la culture, Rachida Dati, qui fustige sur X « ces appels au boycott répétés d’artistes, de spectacles, de conférences, de blocages d’établissements », qui « deviennent des prétextes à un antisémitisme caractérisé et assumé ». L’ancienne garde des Sceaux ajoute même que « ce n’est plus une question d’opinion, c’est une question de justice et de politique pénale ». (...)
Sur les réseaux sociaux, les noms des cinq « désistants » commencent à circuler, entraînant une vague de messages haineux. (...)
Entre-temps, une dizaine d’articles sont publiés, seuls quelques uns prennent la peine de solliciter la version des universitaires en question (dans La Croix et sur le site de France 3 Île-de-France).
Interrogé sur le tour très politique pris par cette affaire, le directeur du mahJ, Paul Salmona pointe la responsabilité des universitaires. (...)
Lui comme Evelyne Oliel-Grausz insistent cependant auprès de Mediapart sur le fait qu’ils ont pris soin de ne jamais citer le nom des cinq chercheurs, qu’ils ne souhaitaient pas livrer à la vindicte.
Visiblement embarrassées par la tournure prise par les événements et les prémices d’un harcèlement en ligne des chercheurs, les organisatrices ont adressé ce week-end un communiqué à l’AFP dont nous avons eu copie. « Nous déplorons que ce texte [le communiqué du mahJ – ndlr] ait pu donner lieu à la prise à partie personnalisée de certains chercheurs. Nous formons le vœu de voir ce colloque se dérouler de manière apaisée et dans les règles d’intégrité scientifique qui conviennent à la vie intellectuelle », écrivent les deux chercheuses.
Selon nos informations, après avoir reçu des menaces, une des chercheuses au cœur de la polémique a fait un malaise et est actuellement en arrêt de travail.
« Nous n’avons jamais appelé au boycott de chercheurs israéliens », nous précise d’emblée l’historien Pierre Gervais quand on le sollicite. Le professeur à l’université Sorbonne-Nouvelle avait accepté de longue date de participer à cet événement où des chercheurs israéliens devaient être présents.
Refus des partenariats ou « boycott de fait »
Le 18 juillet, il découvre dans le programme diffusé à la communauté scientifique les logos de trois institutions israéliennes, ceux de l’université hébraïque de Jérusalem, de l’Israel Science Foundation et du laboratoire Contending with Crises. Des logos absents des versions intermédiaires envoyées aux chercheurs invités.
« J’ai immédiatement écrit aux organisatrices que j’estimais, dans le contexte actuel, impossible de participer à tout événement soutenu par des institutions israéliennes, compte tenu de la nature et des actions du gouvernement israélien actuel. » Il précise alors dans un courriel envoyé fin juillet que sa position est la même pour des événements soutenus « par des institutions officielles ou para-officielles du Kazakhstan, du Venezuela, de la Hongrie ou de la Chine ».
Dans ce message envoyé aux organisatrices, que nous avons pu consulter, la formulation est claire. « J’ajoute, pour lever toute confusion, que je suis tout à fait opposé au boycott des collègues en provenance d’Israël, qui font partie à mes yeux des victimes de la situation actuelle, écrit-il. Je serai toujours heureux d’échanger avec elles et eux, à partir du moment où le cadre de ces échanges ne peut pas être interprété comme un signe de tolérance à l’égard de la politique de l’actuel gouvernement israélien. » (...)
Deux autres chercheurs ayant choisi de se désister, avec qui Mediapart a échangé mais qui souhaitent rester anonymes, confirment cette position de refus des partenariats avec les institutions israéliennes, sans pour autant boycotter les chercheurs israéliens. (...)
Pour Paul Salmona, qui explique n’avoir jamais parlé d’« appel au boycott », c’est tout de même « un boycott de fait ». « Refuser les mentions ou les logos des institutions finançant la participation de chercheurs israéliens revient de facto à les boycotter, estime le directeur de mahJ, puisque c’est l’usage général bien connu que de citer les institutions qui soutiennent les colloques scientifiques. » (...)
Pour Paul Salmona, qui explique n’avoir jamais parlé d’« appel au boycott », c’est tout de même « un boycott de fait ». « Refuser les mentions ou les logos des institutions finançant la participation de chercheurs israéliens revient de facto à les boycotter, estime le directeur de mahJ, puisque c’est l’usage général bien connu que de citer les institutions qui soutiennent les colloques scientifiques. » (...)
Les menaces de poursuites pénales brandies par Rachida Dati n’inquiètent nullement ces chercheurs, tant elles ne s’appuient pas sur le début d’un fondement juridique : participer ou non à un événement scientifique relève de la stricte liberté des universitaires. En revanche, l’infamante accusation d’antisémitisme, formulée par la ministre de la culture, les révulse.
« Confondre la critique de l’État d’Israël et l’antisémitisme, c’est extrêmement dangereux », assure l’un d’eux, qui souligne par ailleurs l’importance du sujet de ce colloque parce que « l’histoire juive de cette période est une histoire qui doit être mieux connue, comme d’autres histoires de minorités opprimées ». « C’est assez comique de se faire traiter d’antisémite quand on est juif, ce qui est mon cas », s’agace de son côté Pierre Gervais.
Désireux de tourner la page au plus vite de toute cette polémique qui l’éloigne de son travail, un des historiens nous précise qu’il ne regrette en rien son choix. « Si notre désistement peut contribuer à faire un peu plus parler de ce qui se passe à Gaza, ce sera déjà ça. »
Amnesty International
Pétition Génocide à Gaza : la France doit mettre fin à l’impunité d’Israël 
