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Mediapart
Champagne et montres de luxe : les cadeaux non déclarés de l’industrie pharmaceutique à la nouvelle ministre de la santé
#sante #corruption #laboratoires #pharmacies
Article mis en ligne le 23 décembre 2023
dernière modification le 22 décembre 2023

D’après nos informations, Agnès Firmin Le Bodo, nommée mercredi après la démission d’Aurélien Rousseau, est visée par une enquête sur les cadeaux de la multinationale Urgo. En tant que pharmacienne, elle est soupçonnée d’avoir reçu de 2015 à 2020 pour 20 000 euros de bouteilles de champagne, montres de luxe, etc.

Encore un beau symbole pour la « République exemplaire » d’Emmanuel Macron. (...)

Inscrit dans la loi, le dispositif « anti-cadeaux » des professionnel·les de santé interdit pourtant très clairement aux pharmacien·nes de recevoir des avantages de la part des industriels de la santé. Sollicitée par Mediapart, Agnès Firmin Le Bodo a affirmé, par le biais de sa conseillère presse, qu’elle « répondra uniquement aux autorités compétentes », au cours d’une audition qui doit se dérouler « en janvier ». Les laboratoires Urgo n’ont pas répondu à notre sollicitation. (...)

Les soupçons qui visent la nouvelle ministre de la santé, laquelle occupait jusqu’ici les fonctions de ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, et qui est porte-parole d’Horizons, le parti de l’ancien premier ministre Édouard Philippe, sont la conséquence d’une première enquête judiciaire ayant ciblé les pratiques commerciales illégales du groupe Urgo, multinationale française ayant réalisé 750 millions de chiffre d’affaires en 2022.

Au cours de cette enquête, la section de recherche de gendarmerie de Dijon et les services de la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) de Bourgogne-Franche-Comté, où l’entreprise a son siège social, ont découvert que le groupe avait offert indûment, de 2015 à 2021, plus de 55 millions d’euros de cadeaux à des pharmacien·nes d’officine sur l’ensemble du territoire. Ces avantages ont permis pendant toutes ces années à l’entreprise et aux pharmacien·nes de s’enrichir directement sur le dos des patients.

En effet, l’entreprise distribuait des récompenses sous la forme de cadeaux en contrepartie de l’achat par les pharmacien·nes de produits Urgo, mais surtout du renoncement à des remises commerciales (...)

En janvier 2023, le groupe plaide coupable, dans le cadre d’une procédure d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) devant le tribunal judiciaire de Dijon. Il est condamné à une amende importante de 1,125 million d’euros, tandis que des saisies pénales de plus de 5,4 millions d’euros sont également confirmées.
20 343,70 euros de cadeaux recensés

C’est alors qu’un second volet de l’affaire débute : après le groupe industriel, la justice se penche désormais sur tous les pharmaciens ayant reçu les cadeaux. (...)

Les cas les plus légers (moins de 1 000 euros de gratification) sont classés. Tandis que les autres dossiers donnent lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire, en juin 2023.
(...)

Parmi les plus gros bénéficiaires présumés se trouve donc Agnès Firmin Le Bodo, dont les cadeaux sont évalués à 20 343,70 euros, d’après nos informations. (...)

Parmi les plus gros bénéficiaires présumés se trouve donc Agnès Firmin Le Bodo, dont les cadeaux sont évalués à 20 343,70 euros, d’après nos informations. (...)

Elle n’informe pas l’Assemblée nationale des cadeaux qu’elle aurait reçu, d’après les éléments de l’enquête. Le code de déontologie oblige les député·es à déclarer « les dons d’une valeur qu’ils estiment supérieure à 150 euros » dans le cas où il les aurait reçus « à raison de leur mandat ». (...)

Ce système bien rodé de cadeaux accordés par les industriels aux professionnel·les de santé est pourtant encadré depuis 1993 (...)

Plusieurs lois successives ont précisé et renforcé ce dispositif anti-cadeaux et les règles de transparence des liens d’intérêt avec les industriels (...)

La députée Agnès Firmin Le Bodo a d’ailleurs participé à ces débats en tant que membre de la commission des affaires sociales lorsque l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn est venue demander, en mars 2019, à l’Assemblée nationale de ratifier l’ordonnance de 2017. À l’époque, Agnès Firmin Le Bodo a même défendu un amendement – finalement rejeté – visant à garantir la présence d’un représentant du conseil de l’ordre lorsqu’une perquisition est effectuée au sein d’une officine.

Ce « dispositif anti-cadeaux » prévoit des dérogations, justifiées par d’éventuels progrès thérapeutiques qui peuvent découler de liens d’intérêt entre industriels et professionnel·es de santé : la prise en charge des déplacements à des congrès médicaux et scientifiques, « d’un niveau raisonnable », des rémunérations pour des activités de recherche, encadrées par des conventions, l’organisation de formations par les laboratoires, etc.

Tous ces avantages et rémunérations doivent être déclarés aux ordres professionnels, et sont rendus public (...)

Il n’y a aucune mention de liens d’intérêt avec les laboratoires Urgo, et pour cause : si les montres, bouteilles de Champagne et de Bordeaux, cocotte Le Creuset et blender Smeg ont bien été offerts à la pharmacienne devenue ministre de la santé, c’est en toute opacité.