De Renaud Camus à Éric Zemmour en passant par « les deux Michel » (Onfray et Houellebecq), l’écrivain Alain Roy démonte les discours qui ont banalisé un imaginaire décliniste et islamophobe. Il montre leur absence de cohérence interne et la dangerosité de leurs implications.
La théorie du « grand remplacement » aurait pu rester un fantasme d’extrême droite d’autant plus honteux à exprimer qu’il se révèle meurtrier. Suggérant que le peuple français « natif » serait en voie d’effacement par une population arabo-musulmane, le slogan s’est cependant fait une place au cœur du débat politique français.
Lors des primaires organisées par Les Républicains (LR) en 2021 en vue de l’élection présidentielle, Éric Ciotti n’a pas hésité à le reprendre à son compte. Durant la campagne elle-même, c’est un de ses propagandistes les plus zélés, Éric Zemmour, polémiste devenu candidat pour le parti Reconquête, qui a cherché à l’imposer comme un enjeu du scrutin.
C’est pour décrire « la normalisation d’une idée folle », en identifiant ses agents et en examinant leur argumentation, qu’Alain Roy, directeur de la revue littéraire L’Inconvénient au Québec, a publié Les Déclinistes (Les Éditions écosociété, 2023). (...)
« Chacun à sa façon, écrit-il, ces livres véhiculent le message catastrophiste et islamophobe qui sous-tend la théorie du grand remplacement. » Entretien pour Mediapart.
Il est aisé de démonter la théorie du « grand remplacement », ne serait-ce que sur le plan démographique. Comment ses colporteurs s’arrangent-ils avec les faits ?
En les évacuant. Les données sont tout simplement balayées du revers de la main. La chose est particulièrement manifeste chez Renaud Camus, selon qui il faut se fier à ce que nos yeux voient de la réalité. C’est absurde (...)
Camus et les autres se situent sur le terrain de la post-vérité.
Cela va plus loin, dans la mesure où la théorie du grand remplacement est aussi une théorie du complot. Si elle dérange tant, selon ses propagateurs, ce ne serait pas à cause de son caractère fallacieux et de ses ressorts xénophobes, mais à cause de la complaisance d’élites qui nous mentent. Il est pourtant évident que l’immigration n’est pas un jeu à somme nulle, que son ampleur est limitée et que la France n’a jamais été une « nation éternelle » à l’identité immuable. (...)
Les journalistes n’ont souvent pas le temps de lire systématiquement les pavés qu’ils publient, de plusieurs centaines de pages chacun. En faisant ce travail, j’ai été frappé par le fait que tous ces auteurs, qui prennent volontiers la posture de grands intellectuels, développent des propos qui présentent des contradictions béantes, d’autant plus énormes qu’elles touchent au cœur des thèses défendues. (...)
Zemmour lui-même présente des arguments contraires à sa thèse, sans le remarquer et sans en tirer aucune conséquence : ça laisse pantois. (...)
Certains bénéficient tout de même d’une reconnaissance institutionnelle ou médiatique importante, qui leur donne accès à de larges audiences. Michel Onfray est présenté comme un philosophe, Alain Finkielkraut est un académicien… Ce ne sont pas des figures marginales du débat public. Il est donc encore nécessaire de démonter rationnellement leurs thèses.
Mon choix est également stratégique. Plutôt que de diriger la critique à partir de valeurs idéologiques, j’ai sciemment employé une démarche analytique, socratique, en donnant des outils à toutes celles et ceux qui souhaitent déconstruire ces discours. (...)
L’idée, c’était de montrer comment le discours du grand remplacement, élaboré par Renaud Camus en 2010, s’est installé dans les médias grand public. Cette banalisation s’est faite par des porte-voix qui passent à la télévision régulièrement, et publient des best-sellers. Ce sont eux que j’ai ciblés (...)
L’idée, c’était de montrer comment le discours du grand remplacement, élaboré par Renaud Camus en 2010, s’est installé dans les médias grand public. Cette banalisation s’est faite par des porte-voix qui passent à la télévision régulièrement, et publient des best-sellers. Ce sont eux que j’ai ciblés (...)
Non seulement les auteurs s’empruntent des idées les uns aux autres, mais ils sont tous en réseau : ils se citent entre eux (...)
Lindenberg avait observé comment des intellectuels se réclamant de la gauche avaient glissé à droite. Désormais, certains passent carrément à l’extrême droite, avec un discours xénophobe, qui reprend les mêmes tropes que d’anciens discours xénophobes du passé, à travers une logique d’essentialisation et de bouc émissaire dont les juifs ont fait les frais à une époque. (...)