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Cette paysanne qui voulait « cultiver l’eau »
#eau #agriculture #elevage #secheresse #rechauffementclimatique
Article mis en ligne le 16 août 2024
dernière modification le 12 août 2024

Face aux sécheresses qui s’intensifient, Marlène Vissac développe une pratique « hydronomique ». À contre-courant des pratiques intensives, l’éleveuse de brebis plante des arbres et enrichit ses sols.

En premier lieu, en s’attaquant au défi de l’eau. Les yeux plissés par la lumière, l’éleveuse pointe les parcelles jaunies sur la crête. « Même s’il peut pleuvoir beaucoup en hiver, l’été, c’est le désert ici, glisse-t-elle. L’eau dévale les pentes et s’en va dans les vallées. » Sans compter les aléas climatiques, chaleur, vent du sud… Résultat : les prés s’assèchent et ne suffisent plus à nourrir les bêtes.

Pour faire face, Marlène Vissac a fait des choix radicaux. Dans ce pays réputé pour sa viande de veau, elle a opté pour des brebis Raïole, une race cévenole rustique en voie de disparition. « Les prairies ne sont plus assez riches pour les bovins », insiste-t-elle. Et pour ne pas surcharger ses 11 hectares, elle utilise le « pâturage tournant dynamique ». Il s’agit de parquer les bêtes sur une petite surface de la parcelle, et de les déplacer très régulièrement — jusqu’à 2 à 3 fois par jour.

Une pratique agroécologique reconnue, qui « permet de donner une alimentation fraîche à l’animal, sans épuiser la ressource du sol, tout en répartissant les déjections de manière homogène sur la parcelle »

D’où ces alignements d’arbres qui éclosent à travers le pâturage. Tilleul, mûrier blanc, sorbier des oiseleurs, érable de Montpellier, cormier. Tous ont été plantés suivant un motif précis, le « keyline » . Inventée par un agriculteur australien, Percival Alfred Yeomans, cette technique vise à « ralentir, infiltrer et répartir l’eau ». Attention, prévient d’emblée l’agricultrice : ce mode d’aménagement n’a rien d’une recette miracle. En clair : tracer ces courbes dans les champs tout en pratiquant une agriculture intensive qui épuise les sols n’apportera aucun bénéfice sur l’eau. (...)

Un « point clé »

Préserver et enrichir les sols, tel est le credo de Marlène Vissac. Car, répète-t-elle à l’envi, « penser l’eau sans penser aux sols, ça n’a pas de sens ». (...)

« L’eau qui ruisselle, qu’on appelle aussi “l’eau bleue”, n’est pas utile pour les plantes. Il faut qu’elle se transforme en “eau verte”, c’est-à-dire en une multitude de petites gouttes mélangées à la terre… comme une sorte de pellicule d’eau. » Pour que la magie opère, il faut des racines et des micro-organismes « qui aident à structurer le sol en agrégats qui sont autant de surfaces d’accroche pour ce film aqueux ».

Mais ce n’est pas tout. « On a besoin de matière organique, pour permettre l’effet éponge du sol, augmenter sa capacité de rétention d’eau, poursuit celle qui s’est formée en autodidacte, le nez dans les livres et les pieds dans les bottes. Et il faut enfin des racines d’arbres avec des mycorhizes, afin de faire transiter l’eau à travers la parcelle ». Ces symbioses entre champignons et végétaux constituent autant de réseaux souterrains capables de transporter nutriments et humidité. (...)

D’où ces alignements d’arbres qui éclosent à travers le pâturage. Tilleul, mûrier blanc, sorbier des oiseleurs, érable de Montpellier, cormier. Tous ont été plantés suivant un motif précis, le « keyline » . Inventée par un agriculteur australien, Percival Alfred Yeomans, cette technique vise à « ralentir, infiltrer et répartir l’eau ». Attention, prévient d’emblée l’agricultrice : ce mode d’aménagement n’a rien d’une recette miracle. En clair : tracer ces courbes dans les champs tout en pratiquant une agriculture intensive qui épuise les sols n’apportera aucun bénéfice sur l’eau. (...)

« Ces haies jouent un rôle de paravent, de parasol et distribuent l’eau sur toute la parcelle », résume-t-elle. Des techniques éprouvées dans d’autres pays, diffusées chez nous sous le nom d’hydrologie régénérative. Mais encore vues comme hasardeuses — voire moquées — par le monde agricole. (...)

Malgré des résultats encourageants, peu d’agriculteurs sautent le pas « hydronomique ». « La brutalité des saisons, le Covid, la crise de la bio ont fragilisé les exploitations, qui n’osent plus se lancer dans des transitions agroécologiques sur plusieurs années, abonde Marlène Vissac. Et politiquement, c’est dur, on ne jure que par les mégabassines. » (...)

Pour tenter de rallier les sceptiques, la paysanne a entrepris un programme de recherche, sur six ans, afin de « démontrer l’intérêt de ces pratiques ». Un projet autofinancé, au vu du manque d’intérêt et de moyens de la recherche publique. (...)