
Dans le Grand Nord norvégien, des Samis et des activistes écologistes s’opposent à la construction d’une mine de cuivre. Si les autorités norvégiennes et le propriétaire canadien du projet le présentent comme un atout pour une transition verte, ses détracteurs mettent en garde contre la pollution du fjord voisin et les perturbations de l’élevage de rennes qui en découleraient. Beaska Niillas, membre du Parlement sami, explique l’opposition de sa communauté.
Un crâne de renne, peint en orange, suspendu à la roche. Voilà ce qu’ont trouvé des manifestants lorsqu’ils sont arrivés le 30 juillet sur le chantier de construction d’une mine dans le nord de la Norvège, qu’ils tentent de bloquer depuis plus de six semaines.
Activistes environnementaux et éleveurs de rennes samis s’opposent à la construction par Nussir de cette mine de cuivre, à proximité du Repparfjord, un fjord situé tout au nord du pays, bien au-delà du cercle arctique. Le peuple sami, qui vit en Norvège, en Suède, en Finlande et en Russie, est le dernier peuple autochtone reconnu en Europe.
La scène était "très inquiétante", témoigne Beaska Niillas, un membre du Parlement sami et de l’Association samie norvégienne, qui a travaillé sur le dossier pendant 15 ans, et assiste régulièrement aux manifestations. "C’était en gros un ‘Allez vous faire foutre’. Je considère que c’est un crime haineux." (...)
Manifestants enchaînés aux machines
Ce projet de mine a été une source d’intenses débats depuis que l’entreprise minière Nussir ASA a été créée en 2005. Ses partisans ont promu le projet comme une source vitale d’emplois et un contributeur clé à la transition verte de la Norvège. En raison de sa conductivité naturelle, le cuivre est un matériau essentiel pour la production de véhicules électriques, de batteries, d’éoliennes, de panneaux solaires et de réseaux électriques. Sa demande devrait quasiment doubler d’ici 2035.
Mais les détracteurs du projet pointent du doigt ses effets néfastes sur l’environnement et les communautés locales.
En 2021, la municipalité d’Hammerfest - où se situe la mine - a approuvé les plans de développement de Nussir. Peu de temps après, des activistes se sont enchaînés à des engins de chantier en signe de protestation.
"Nous avons formé une coalition entre l’Association sami norvégienne et deux ONG environnementales : Nature et Jeunesse, qui organise les manifestations, et Les amis de la Terre. À l’Association samie norvégienne, nous travaillons politiquement et nous essayons d’influencer la trajectoire politique", explique Beaska Niillas.
Les opposants ont aussi déposé une plainte dénonçant des erreurs dans la gestion du projet par la municipalité, poussant les officiels à arrêter les travaux jusqu’à ce que le dossier soit complètement réexaminé.
Le plus grand producteur de cuivre d’Europe, Aarubis, a alors mis fin à un accord provisoire pour acheter du cuivre de Nussir, expliquant que "certains aspects sociaux du projet devaient être davantage pris en compte". (...)
Des éleveurs de rennes rejoignent les actions de désobéissance civile
Une nouvelle vague d’opposition a émergé quand Blue Moon Metals - l’entreprise canadienne qui a racheté la mine en 2024 - a débuté la construction le 12 juin 2025.
En réponse, des activistes de Nature et Jeunesse ont établi un campement proche du site, appelant le public à les rejoindre.
Des manifestants se sont à nouveau enchaînés sur le lieu du chantier, poussant Nussir à demander l’intervention de la police. Des images publiées sur les réseaux sociaux montrent des officiers expulsant les individus du site. (...)
Le 28 juillet, le jour où les travaux devaient reprendre, des militants ont de nouveau pénétré sur la zone de chantier, s’enchaînant à des engins de chantier et amenant les policiers à évacuer la zone. (...)
Le 30 juillet, la police a signalé que plus de 20 personnes avaient été expulsées du chantier.
"Ils doivent obtenir le consentement du peuple sami"
Les opposants affirment que bien que la mine ait reçu un permis de la Norvège en 2019 et un feu vert de la municipalité en 2021, le chantier est illégal. (...)
Il est obligatoire de mener des consultations pour obtenir le consentement libre, préalable et informé du peuple sami. Ils n’ont pas consulté le Parlement sami. Ils n’ont jamais consulté le comité d’éleveurs de rennes. Donc ils agissent illégalement.
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Des résidus miniers dans le fjord
Pour les Amis de la Terre Norvège, c’est "l’un des projets industriels les plus dommageables pour l’environnement dans l’histoire norvégienne".
L’une des principales préoccupations concerne les deux millions de tonnes de résidus miniers qui doivent être déversés chaque année dans le fjord, une zone protégée pour le saumon. La Norvège est l’un des rares pays du monde qui autorise le déversement marin de déchets miniers.
Nussir affirme qu’elle utilisera une technique permettant aux résidus "de tomber au fond de la mer au lieu de se mélanger". Selon l’entreprise, cette méthode limitera "la diffusion de particules fines".
Mais l’Institut de recherche marine de Norvège a mis en garde à de nombreuses reprises contre les conséquences du déversement marin de déchets miniers. (...)
Menace pour l’élevage de rennes
Les Samis dénoncent également l’impact du projet sur l’élevage de rennes, une pratique centrale dans leur culture.
Si la mine explique que les opérations seront essentiellement souterraines, les éleveurs de rennes dans le district de pâture voisin de Fiettár sont inquiets.
"La mine va faire fuir les rennes de la zone. C’est aussi une terre de vêlage au début du printemps. La femelle renne se retire avec ses petits dans ces montagnes. Elles font cela depuis des temps immémoriaux. Mais avec le minage souterrain, elles vont éviter la zone. Ce sera beaucoup plus difficile d’avoir un élevage de rennes si les petits n’ont pas de lieux sûrs pour grandir."
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"C’est considéré comme une région sauvage, mais c’est notre jardin, notre moyen de subsistance"
Selon Beaska Niillas, le projet minier constitue une menace supplémentaire, dans un contexte où le district est déjà sous une "pression importante" du fait du tourisme et des projets énergétiques. (...)
"Colonialisme vert"
Le projet symbolise la contradiction d’un pays pourtant souvent décrit comme un leader environnemental. (...)
Le projet a aussi été désigné par la Commission européenne comme l’un des 13 projets situés en dehors de l’Union européenne "stratégiquement importants" pour l’extraction de matières premières essentielles. La Commission écrivait que le cuivre de la mine Nussir serait "associé à des émissions nettement inférieures à celles de sources comparables". (...)
Les tribunaux ont donné raison aux Samis dans le cadre de plaintes similaires dans le passé. En 2021, après des années de contestations, la Cour suprême de Norvège a jugé que l’expropriation et les permis d’opération délivrés pour la construction d’éoliennes dans la région de Fosen en Norvège violaient le droit des Samis à pratiquer l’élevage de rennes.
"Ils doivent y réfléchir à deux fois et ne pas faire les mêmes erreurs qu’ils ont faites pendant des siècles"
La Norvège s’est récemment engagée dans un processus de réconciliation avec le peuple sami. En novembre 2024, le pays s’excusait pour des injustices historiques commises à leur encontre dans le cadre de sa politique de "norvégianisation" menée pendant plus d’un siècle.
Beaska Niillas estime qu’ils doivent maintenant tenir leurs engagement (...)
En mars 2025, un rapport de l’ONU notait que "des impacts négatifs de projets de développement sur le peuple sami étaient constamment soulignés" lors de leurs discussions avec la communauté, notamment un "manque d’application complète du droit au consentement libre, informé et préalable" et de leurs droits "aux terres, aux territoires et aux ressources".
Un rapport de 2025 d’Amnesty soulignait également que la législation actuelle en Finlande, Suède, et Norvège "manquait de garde-fous obligeant les décideurs à obtenir le consentement libre, informé et préalable des institutions représentatives samies avant d’initier les projets d’exploitation du sol, tels que les projets éoliens et miniers".