
Remettre une consigne dans le secteur du vin s’avère plus complexe qu’attendu. Si certains viticulteurs se lancent avec succès, ils se heurtent toutefois à des difficultés pour récupérer les bouteilles.
« Rapportez-moi pour réemploi. » Cette petite étiquette s’affiche chaque année sur le goulot de 1,5 million de bouteilles de vin vendues par Jacques Frelin Vignobles. En se lançant dans le réemploi dès 2021, cette entreprise languedocienne — productrice et négociante pour plusieurs marques de vins bio depuis 1983 — fait partie des pionnières. Aujourd’hui, la moitié de sa production est embouteillée dans des contenants réutilisables.
Cette transformation ne s’est pas faite sans effort. L’équipe de viticultrices qui gère la maison a fait un gros travail de recherche et développement, notamment avec son conditionneur. « Comme les bouteilles sont différentes, ça a demandé de nouveaux calages sur la ligne d’embouteillage, explique Karen Arsac, responsable communication et marketing chez Jacques Frelin. Il fallait aussi trouver des bouteilles assez solides, plus épaisses, pour pouvoir faire plusieurs rotations avec. »
Elles doivent notamment résister aux trajets qu’implique le réemploi. « Les verriers ne proposent pas encore de modèle certifié réemployable, même si c’est dans les tuyaux, ajoute-t-elle. On s’est donc tournés vers une bouteille qui existait déjà pour des cuvées un peu plus prestigieuses. » Mais qui dit plus épaisse, dit aussi plus chère. Elle coûte 17 centimes de plus qu’une non réutilisable.
79 % d’émissions de CO2 en moins
Autre enjeu : l’étiquette, qui doit pouvoir être facilement enlevée sans abîmer le contenant. Cela implique de recourir à une colle hydrosoluble et à un papier poreux. Fini les vernis, dorures ou tout embellissement qui ajouterait un film imperméable. (...)
« Le réemploi, c’est 75 % d’énergie en moins, 79 % d’émissions de gaz à effet de serre en moins et 33 % d’eau économisée comparé au recyclage », rappelle Karen Arsac, en s’appuyant sur les données de l’Agence de la transition écologique (Ademe).
Pour elle, il n’y a rien d’insurmontable à passer au réemploi et à des pratiques plus durables. (...)
Produites dans le sud, vendues dans le nord
Pour l’heure, le principal bémol réside dans la récupération des fameuses bouteilles, produites dans les régions viticoles, mais vendues dans des régions qui ne le sont pas forcément. « La bouteille que nous avons conditionnée ne va pas nous revenir, explique la responsable communication. Si elle est vendue dans la région parisienne, par exemple, elle sera récupérée par un laveur local, et revendue à un viticulteur de cette région ou d’une région proche. Pour l’instant, on n’arrive pas à boucler la boucle. » (...)
À ce déséquilibre géographique s’ajoute le manque de réflexe de la part des consommateurs. Ils ont encore du mal à rapporter les bouteilles consignées en magasin. (...)
Trop de bouteilles différentes
Toutefois, ce n’est pas parce qu’une bouteille est réemployable qu’elle peut être utilisée par tous les viticulteurs. C’est l’autre grand frein à la généralisation du réemploi : la diversité des modèles de bouteilles actuellement utilisées. (...)
obstacle insurmontable pour les machines de conditionnement des producteurs. Réglées au millimètre près, celles-ci ne peuvent embouteiller qu’un seul format strictement identique. La solution serait que tous les viticulteurs adoptent, au moins par grande région viticole, un modèle standard sur lequel régler leur équipement une bonne fois pour toutes. (...)
l’expérimentation de consigne qui doit être lancée en mai 2025 à grande échelle, dans quatre régions du Grand Ouest, ne concernera pas le vin. Les éco-organismes à l’origine de ce projet, Citeo et Adelphe, ont élaboré avec des verriers un modèle standard pour la bouteille de bière ou celle de jus de fruits. Mais pas encore pour celle de vin. « Les standards réemployables sont bien prévus pour le vin », nous indique Adelphe. Un format bouteille bordelaise et un format bouteille bourguignonne sont en cours de développement.
Adelphe pointe plusieurs freins : difficulté à dissocier les flux de bouteilles réemployables des flux de bouteilles à usage unique, temps de stockage longs, gros volumes destinés à l’export… De quoi justifier « une méthodologie spécifique pour ce secteur, ce qui prend du temps ».