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Mediapart
Avis de tempête à France Inter, où la rédaction subit une remise au pas à marche forcée
#FranceInter #repression #Meurice #libertedexpression #humour
Article mis en ligne le 5 mai 2024
dernière modification le 4 mai 2024

Entre la suspension à titre conservatoire de Guillaume Meurice et les coups de boutoir annoncés contre plusieurs émissions emblématiques de France Inter, les journalistes de la radio publique s’inquiètent « virage éditorial plus large » et d’une reprise en main politique de leur station.

« La rédaction est sous le choc. » Encore sonné·es par la nouvelle de la veille, annonçant la suspension de Guillaume Meurice de l’antenne, les journalistes de France Inter ont débarqué ce matin dans la Maison ronde, la mine défaite, affligés par ce qui venait de leur tomber sur la tête. La conférence de rédaction du matin a servi de thermomètre sur l’état des troupes.

« Ça fait vingt-et-un ans que je travaille pour France Inter, c’est la première fois que je me demande ce que je fais là », s’est navré un chef de service, ému aux larmes. « Inacceptable », « inqualifiable » : les participant·es n’ont pas eu de mots assez durs pour exprimer leur colère après la convocation de Guillaume Meurice « à un entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire », pour avoir répété dans son dernier sketch sa blague contre Benyamin Nétanyahou, qu’il désignait de « sorte de nazi, mais sans prépuce » – la justice venait de prononcer un classement sans suite. Mis à pied à titre conservatoire, l’humoriste ne participera pas au moins aux deux prochains numéros du « Grand Dimanche soir », l’émission animée par Charline Vanhoenacker.

« Ça a vraiment gueulé, rapporte une habituée de ces réunions quotidiennes. On leur a fait comprendre que s’attaquer à la liberté des humoristes, c’était aussi s’attaquer à la liberté de la presse, celle de notre rédaction. » (...)

Esquivant la fureur de leurs troupes, ni Adèle Van Reeth, directrice de la station, ni Sibyle Veil, directrice de Radio France, n’étaient présentes lors de la conférence de rédaction matinale. (...)

« Dans son obsession visant à faire taire l’humour politique sur l’antenne, la direction va jusqu’à s’asseoir sur une décision de justice », se scandalise une voix connue de l’antenne.
Vers la disparition de la satire politique sur Inter ?

« La première fois, la direction a réagi, parce que la vanne de Meurice avait provoqué une polémique. Cette fois, personne ne l’avait remarqué », observe un reporter de la station. Dès lors, comment expliquer cette réaction à retardement de la direction, interprétée comme un geste d’hostilité envers toute forme d’impertinence, pourtant érigée il n’y a encore pas si longtemps comme le slogan de France Inter ? « Cette fois-ci, c’est la direction qui anticipe une réaction, c’est comme si l’attaque venait de l’intérieur », glisse un cadre d’Inter.

Pour beaucoup, cette décision est politique et avant-coureuse de l’inévitable disparition à l’antenne de l’émission de Charline Vanhoenacker, déjà rétrogradée de quotidienne à hebdomadaire. (...)

Au-delà des bouleversements subis par l’émission d’humour politique de la station, c’est le tableau d’ensemble, se dessinant ces derniers jours au gré des changements de grille annoncés ou pressentis, qui fait craindre aux journalistes « un virage éditorial plus large ». Dans un communiqué transmis vendredi après-midi en interne, la Société des productrices et producteurs de France Inter (SDPI) et la Société des journalistes (SDJ) de la station dénoncent une « atteinte grave au pluralisme de l’antenne de France Inter ». (...)

« Tout ce qui porte la marque du reportage est menacé, prédit une reporter chevronnée de la station. Le reportage a le défaut de coller à la réalité et n’est pas dogmatique. Il donne à voir un pays fracturé, qui va mal et s’appauvrit, et entre en contradiction avec le discours des ministres qui viennent en taxi pour nous rassurer sur le fait que la France est le pays le plus attractif d’Europe. » (...)

« Aujourd’hui, le mot d’ordre, c’est d’être lisse et de se plier au discours dominant. On le voit sur notre traitement du conflit israélo-palestinien, où on ne donne pratiquement pas la parole aux Palestiniens pour ne pas prêter le flanc aux accusations d’islamo-gauchisme », déplore une cheffe de rubrique.

La rédaction, que ces coups de massue successifs ont considérablement ressoudée, n’entend pas laisser disparaître l’ADN de France Inter sans livrer bataille. Une réunion de tous les personnels pourrait avoir lieu au courant de la semaine prochaine, selon les informations du Monde.