Une semaine après avoir écarté l’ancien président du Conseil d’orientation des retraites, Pierre-Louis Bras, Matignon a nommé un économiste très proche du macronisme, et très favorable au recul de l’âge de départ, à la tête de cette institution.
(...) Le président sortant avait pourtant été, par ses propos et ses analyses, une épine dans le pied du récit gouvernemental au moment de la récente réforme des retraites.
Mais la nomination de son successeur, confirmée mardi 31 octobre, ne laisse aucun doute sur les intentions du pouvoir. En effet, l’heureux élu n’est autre que Gilbert Cette, un économiste orthodoxe professeur à l’école de commerce Neoma et à l’université d’Aix-Marseille, et compagnon de route historique de la Macronie.
Lors de la campagne de 2017, il avait signé la tribune des économistes soutenant la candidature d’Emmanuel Macron à la présidence de la République publiée dans Le Monde. On y trouvait notamment cette envolée lyrique et fort optimiste : « La nouvelle croissance, proposée par Emmanuel Macron, repose sur le progrès et l’innovation, c’est-à-dire la création en permanence de nouvelles technologies, de nouvelles activités, de nouveaux biens et services de meilleure qualité et de nouvelles façons de produire plus économes en énergie. » (...)
Une fois son poulain élu à l’Élysée, l’économiste a été nommé à la tête du comité d’experts sur le salaire minimum qui, systématiquement depuis, prône l’absence de tout « coup de pouce » au Smic, c’est-à-dire de toute augmentation au-delà de la hausse légale.
C’est ainsi un membre du cercle proche de la présidence qui prend le contrôle d’un instance censée être indépendante. (...)
Dans le monde de Gilbert Cette, c’est le travail qui doit toujours s’adapter. Adepte de la « flexi-sécurité » où la sécurité est optionnelle, il soutenait en novembre 2021, dans L’Opinion, une « adaptation du droit du travail au numérique » allant plus loin encore que la réformes de 2017.
D’ailleurs, adepte des comparaisons internationales, souvent utilisées pour justifier les réformes en faveur du capital, Gilbert Cette défend depuis longtemps une remise en cause du niveau qu’il juge trop élevé du Smic et de ses méthodes de revalorisation. (...)
Gilbert Cette est de ces économistes qui, même lorsqu’ils ont tort, continuent de faire comme s’ils avaient raison. Après avoir promu des politiques néolibérales pour augmenter la productivité de l’économie, l’économiste a constaté que les gains de productivité étaient désormais nuls (ce qui n’est guère étonnant puisqu’on a subventionné les bas salaires les moins productifs), et exige donc en retour des réformes pour « travailler plus ». C’est ce qu’il prônait dans cette tribune publiée dans Les Échos en mai dernier. Et là encore, comme par miracle, il était en plein accord avec le discours de la majorité présidentielle.
Gilbert Cette fait partie de ces économistes orthodoxes absolument intolérants à tout autre cadre de pensée, même déviant légèrement des leurs. (...)
Il convient ainsi de voir cette nomination pour ce qu’elle est : un épisode de plus dans la lente et continuelle dérive autoritaire d’un pouvoir qui ne supporte pas de se voir soumis à une contradiction et qui ne tolère « l’indépendance » que tant qu’elle lui donne raison. Jusqu’ici, le pouvoir niait et ignorait les études n’allant pas dans le sens de sa politique et montrant son caractère irrationnel. On a désormais, avec l’arrivée de Gilbert Cette à la tête du COR, franchi un cap : ce que l’on souhaite, ce sont des experts aux ordres.