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Aux États-Unis, l’avortement révélateur des problématiques de vie privée et de désinformation
#femmes #avortements #USA #vieprivee #applications
Article mis en ligne le 13 décembre 2024
dernière modification le 11 décembre 2024

Le 24 juin 2022, le renversement de l’arrêt Roe v. Wade mettait fin à la protection fédérale du droit à l’avortement aux États-Unis. Outre ses implications humaines, la décision a eu divers impacts sur la vie privée et l’accès à l’information des internautes. Next INpact en a discuté avec Corynne McSherry, directrice juridique de l’Electronic Frontier Foundation.

Aux États-Unis, le droit à l’avortement était consacré par l’arrêt Roe v. Wade rendu en 1973 par la Cour Suprême. Le 24 juin 2022, saisie dans le cadre de l’affaire Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, la Cour Suprême actuelle a déclaré que la Constitution américaine ne conférait pas le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), cassant l’arrêt rendu un demi-siècle plus tôt.

Dans le sillage de cette décision, quatorze États ont totalement interdit l’interruption de grossesse, dont neuf sans exception pour les cas de viol ou d’inceste. Six autres l’ont réduit en imposant des dates ou des modalités précises.

(...) À l’été 2022, l’International Association of Privacy Professionals soulignait que la décision de justice remettait aussi bien en cause le droit des femmes à la santé reproductive que leur droit, à elles comme à leur entourage, à la vie privée. En cause : la facilité avec laquelle il est possible d’inférer la décision d’une femme de mettre fin à une grossesse, pour peu que l’on ait accès aux données d’applications de suivi menstruel, de recherches en ligne liées à des méthodes d’avortements, à des registres médicaux, des informations de géolocalisation, voire à des informations de paiement ou de crédit.

Internet partout, vie privée nulle part ? (...)

Depuis un an, les effets de cette surveillance privée sur les droits des femmes sont d’autant plus visibles qu’ils s’exercent dans le pays même ou un grand nombre de géants numériques occidentaux ont été fondés. Dès la fuite du projet d’arrêt Dobbs v. Jackson, l’une des grandes inquiétudes partagées en ligne a par exemple concerné la sécurité des données enregistrées dans des applications de suivi des menstruations. (...)

En 2018, l’ONG Privacy International avait démontré que près de deux tiers des 36 applications qu’elle avait testées partageaient des informations avec des tiers. En 2022, le Guardian rapportait que de nombreuses Américaines décidaient de supprimer les applications en question de leur téléphone par peur que celles-ci puissent servir à les poursuivre.
Big Tech et partage des données personnelles

Autre enjeu : le partage des données des utilisateurs avec les forces de l’ordre, attendu quand les requêtes sont légitimes, contestable quand elles ne le sont pas. Dès l’été 2022, TechCrunch rapportait le cas d’une enquête qui soupçonnait une jeune fille de 17 ans d’avoir avorté, sans preuve évidente. Meta a fourni ses données quand bien même l’entreprise est connue pour avoir contesté d’autres demandes d’informations par le passé.

Plus récemment, Insider a souligné la propension d’entreprises comme Meta, Google ou des pharmacies en ligne à fournir des informations personnelles à la police, contenu des discussions sur des applications de messagerie compris, même quand les demandes sont illégitimes (pour obtenir des données de localisation ou des messages, en particulier, les forces de l’ordre américaines ont besoin d’un mandat). En décembre 2022, Meta déclarait se plier aux trois quarts des 240 000 demandes d’information qu’il recevait au fil de l’année.

Et la juriste Sharon Docter d’expliquer au média : « les entreprises de réseaux sociaux n’ont pas tellement de motivation pour protéger la vie privée ». Dans leurs calculs, il paraît souvent moins risqué de collaborer avec les autorités.

Pour faire face aux inquiétudes qui montaient, cela dit, Google a de son côté fait quelques promesses (...)

Des mesures insuffisantes et incohérentes avec la force de frappe d’un géant numérique (...)

Le caractère critique des données de géolocalisation est une question récurrente, lorsqu’on s’intéresse aux effets numériques de l’abrogation du droit à l’avortement. En mai, une série d’organisations, dont l’EFF, ont ainsi demandé à la police de Californie, où l’avortement est autorisé, de cesser de partager les données de leurs systèmes automatisés de lecture des plaques d’immatriculation. À défaut, les polices d’États où celui-ci est interdit pourraient facilement remonter la trace d’éventuelles contrevenantes.

« Habituellement, les forces de police sont plutôt intéressées par l’idée de collaborer, décrypte l’experte. Cependant, cette situation-ci crée tout un jeu de nouvelles questions juridiques ». Quelles que soient les solutions finalement adoptées, elle prévoit qu’« il sera très simple de contourner une éventuelle interdiction de partage d’information en se tournant vers des courtiers de données privés ». (...)

Le caractère critique des données de géolocalisation est une question récurrente, lorsqu’on s’intéresse aux effets numériques de l’abrogation du droit à l’avortement. En mai, une série d’organisations, dont l’EFF, ont ainsi demandé à la police de Californie, où l’avortement est autorisé, de cesser de partager les données de leurs systèmes automatisés de lecture des plaques d’immatriculation. À défaut, les polices d’États où celui-ci est interdit pourraient facilement remonter la trace d’éventuelles contrevenantes.

« Habituellement, les forces de police sont plutôt intéressées par l’idée de collaborer, décrypte l’experte. Cependant, cette situation-ci crée tout un jeu de nouvelles questions juridiques ». Quelles que soient les solutions finalement adoptées, elle prévoit qu’« il sera très simple de contourner une éventuelle interdiction de partage d’information en se tournant vers des courtiers de données privés ». (...)

Autre effet collatéral de l’arrêt Dobbs v. Jackson qu’elle tient à souligner : « cette évolution pose aussi des problèmes de liberté d’expression » (...)

outre l’éventuelle restriction d’accès à de l’information de qualité, il faut aussi composer avec la désinformation (...)

Quels enseignements tirer de la situation américaine ? Quel que soit le pays, « la vie privée est un sport d’équipe » souligne Corynne McSherry : « mettre en place rien que les étapes les plus simples, les plus accessibles pour protéger sa vie numérique, c’est se protéger soi-même comme ses proches ».

Et l’experte de citer, en guise d’éléments à proposer au grand public, l’usage de messageries chiffrées, celui de la navigation en mode privé lorsqu’il s’agit de rechercher des mots clés sensibles, ou l’usage de VPN. Pour ce qui est de l’information, aucun outil magique mais la promotion de la multiplication des sources et de l’esprit critique.

L’EFF a aussi créé des guides d’auto-défense contre la surveillance (en VO, en VF – profitons-en, vu le sujet, pour souligner l’existence de ce guide pour une cybersécurité féministe). (...)