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Mediapart
Au Venezuela, « Maduro a choisi la voie de l’autoritarisme »
#Venezuela #repression #Maduro #democratie #USA
Article mis en ligne le 31 juillet 2024

Le chercheur Thomas Posado revient sur l’écart entre les débuts du chavisme et la « répression sélective » exercée aujourd’hui par le régime de Maduro sur les oppositions et les mouvements sociaux. Celui-ci vient d’être réélu après une élection au résultat contesté.

Une opposition unie, un pays exaspéré par une situation économique désastreuse, des sondages flatteurs… Les ingrédients d’une alternance au Venezuela, un quart de siècle après la victoire d’Hugo Chávez à l’élection présidentielle de 1998, semblaient réunis. Le Conseil national électoral a cependant annoncé la réélection de son successeur, Nicolás Maduro, avec 51 % des suffrages.

La suspicion pèse sur l’honnêteté des résultats, obtenus en tout état de cause à l’issue d’une compétition électorale inéquitable. La dérive autoritaire des héritiers du chavisme est consommée depuis une dizaine d’années, sur fond d’un processus de capture et de privatisation de l’État très tôt lancé.

Thomas Posado, maître de conférences en civilisation latino-américaine à l’université de Rouen, est l’auteur de Venezuela : de la Révolution à l’effondrement. Le syndicalisme comme prisme de la crise politique (1999-2021) (Presses universitaires du Midi, 2023). Il explique que la situation vénézuélienne illustre, selon des modalités particulièrement catastrophiques, « la réduction des marges de manœuvre que connaissent désormais les gouvernements progressistes en place en Amérique latine ». (...)

Thomas Posado : Pour l’instant, il n’y a pas de résultats détaillés, donc il est difficile d’attester une fraude ou de la rejeter. La publication de ces résultats détaillés a justement été demandée par les États-Unis et l’Union européenne. Elle l’a aussi été par la Colombie.

À l’instar de ces chancelleries, on peut estimer a minima que le résultat officiel est étonnant. Il apparaît contradictoire avec la dynamique des campagnes électorales observée sur le terrain, les estimations des instituts de sondage les plus sérieux du pays, et même certains résultats locaux qui nous sont parvenus, avec des bastions chavistes ayant donné une avance à Edmundo González Urrutia, le principal adversaire de Maduro.

Le fait même que les résultats soient douteux est-il un signe de la déréliction du régime ?

C’est en tout cas une très grande différence entre la présidence d’Hugo Chávez [1999-2013 – ndlr] et celle de son successeur Nicolás Maduro. Globalement, la volonté majoritaire a été respectée sous Chávez. Il n’a perdu qu’une fois un référendum national en 2007, et avait reconnu sa défaite, même s’il a essayé de faire passer certaines des dispositions par un autre référendum deux ans plus tard.

Après son élection en 2013, Maduro, lui, n’a cessé de recourir à des procédés autoritaires variés pour échapper aux sanctions électorales. Son camp a été défait en 2015 aux élections législatives, mais il a privé de ses pouvoirs la nouvelle Assemblée. L’opposition a ensuite choisi de boycotter des scrutins, mais en étant encouragée par Maduro. (...)

Les débuts du chavisme, pendant les années 2000, c’étaient une population et des mouvements sociaux qui ont conquis des droits et une dignité par leur mobilisation, en renversant les obstacles institutionnels qu’ils rencontraient, en déjouant deux tentatives de renversement du nouveau pouvoir par les élites économiques, et en gagnant tous les scrutins électoraux.

Cette dynamique a correspondu à la première phase des gouvernements progressistes sur le sous-continent. Le cours des matières premières, comme le pétrole au Venezuela, était élevé et permettait de distribuer des richesses aux pauvres sans prendre vraiment aux riches. Beaucoup d’expériences progressistes ont ainsi fait l’impasse sur une véritable réforme fiscale, ce qui était masqué par des politiques malgré tout favorables aux secteurs populaires.

Aujourd’hui, le groupe dirigeant autour de Maduro est enkysté au pouvoir et travaille plutôt à déjouer les mobilisations de la société et à empêcher l’émergence de tout opposant sérieux. Une nouvelle élite économique a même tendance à s’entendre avec Maduro et à voir d’un bon œil une certaine stabilité du pouvoir politique. Les politiques économiques menées depuis 2018 seraient qualifiées de libérales en France. (...)

La situation au Venezuela correspond, dans une version particulièrement catastrophique, à la réduction des marges de manœuvre que connaissent désormais les gouvernements progressistes en place en Amérique latine. La situation économique s’est retournée depuis une bonne dizaine d’années, et là où l’alternance a eu lieu, ils ont dû faire avec le retour en force électoral d’une droite restauratrice. (...)

Quel a été le rôle des États-Unis dans ce déclin ?

Il s’agit d’un adversaire traditionnel du chavisme. C’est le seul pays, avec l’Espagne, à avoir légitimé le coup d’État qui avait visé Chávez en 2002. Leurs sanctions économiques contre le pays, prises en 2017 et renforcées en 2019, sont graves : illégales au niveau du droit international, criminelles pour la population, et contre-productives au regard de l’objectif de changement de régime. Les proches de Maduro peuvent en effet recourir à la rhétorique anti-impérialiste, tandis que l’opposition vénézuélienne n’en est pas crédibilisée pour autant.

L’effondrement économique était certes préexistant aux sanctions, mais celles-ci ont rendu le redressement impossible. Entre octobre 2023 et avril 2024, les sanctions ont été toutefois prudemment assouplies par les États-Unis. (...)

D’une part, il y a le besoin de s’approvisionner en pétrole dans un contexte géopolitique tendu depuis la guerre en Ukraine. D’autre part, la question migratoire vénézuélienne n’est plus un problème de pays latino-américain, mais devient aussi celui des États-Unis eux-mêmes. La première nationalité des personnes migrantes qui se présentent à la frontière avec le Mexique est vénézuélienne. En pleine campagne électorale interne, les États-Unis ne veulent pas donner d’incitation supplémentaire à quitter le pays. (...)

Le clivage porte sur des questions politiques, l’opposition prétendant démocratiser les institutions du pays. Disons d’emblée que ses dirigeants n’apparaissent pas comme les plus crédibles pour cette mission. Les courants à la tête de l’opposition sont désormais les plus radicaux, animés d’un esprit de revanche, et solidaires du dirigeant argentin Javier Milei.

Les questions internationales comptent aussi beaucoup dans le champ politique vénézuélien. L’élection de González président aurait signifié un tournant atlantiste et occidental. N’oublions pas que Juan Guaidó, président autoproclamé en 2019, avait été soutenu par soixante États occidentaux. Sur l’Ukraine, nous trouverions embarrassante ici la posture de Maduro. Mais tout autant celle de son opposition sur le conflit israélo-palestinien. (...)

Au Venezuela, on peut se mobiliser, mais l’État peut bloquer vos actions ou vous incarcérer quand ça lui chante. C’est suffisant pour maintenir l’ordre social. (...)

Dans tous les cas, cela ne rend pas service de fermer les yeux sur ce qu’est devenue l’expérience vénézuélienne. Quand on soutient que l’avenir est émancipateur et passe par une amélioration des conditions de vie, elle ne peut être défendue sous aucun de ces deux aspects.