
Une question continue de hanter les Niçois : le massacre du 14 juillet 2016 aurait-il pu être évité si des mesures de sécurité plus sérieuses avaient été prises ce soir-là ? La justice a enfin décidé de mener de plus amples investigations sur la responsabilité de la Ville.
– C’est un coup de semonce pour la ville. Sept ans après l’attentat terroriste de la promenade des Anglais, à Nice, le 14 juillet 2016, les trois juges d’instruction chargés du volet sécuritaire de l’enquête, c’est-à-dire concernant les failles du dispositif de sécurité, viennent de requalifier les faits en « homicides et blessures involontaires par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité ». Ce qui ouvre la voie à de nouvelles investigations et à une éventuelle mise en examen du maire de Nice de l’époque. (...)
Le rapport décisif d’un cabinet spécialiste en maintien de l’ordre
Pour obtenir justice, les victimes et leurs familles ont déjà parcouru un chemin de croix. Plusieurs plaintes contre X pour mise en danger de la vie d’autrui avaient été classées sans suite par le procureur Jean-Michel Prêtre, en janvier 2017. Intolérable pour les familles, qui se sont portées parties civiles et ont obtenu l’ouverture d’une information judiciaire, en avril 2017.
En 2019, les quatre principaux responsables du dispositif de sécurité ont été auditionnés sous le statut de témoins assistés : Philippe Pradal, maire de Nice à l’époque des faits, Christian Estrosi, alors premier adjoint (élu président du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, il avait dû renoncer temporairement à son mandat de maire), Adolphe Colrat, préfet des Alpes-Maritimes et François-Xavier Lauch, son directeur de cabinet (un proche d’Emmanuel Macron, aujourd’hui préfet de l’Hérault).
Il y a eu ensuite le procès terroriste, à Paris, en octobre 2022, où plusieurs victimes et policiers se sont succédé à la barre pour dénoncer les failles du dispositif mis en place le 14 juillet 2016. Ce qu’elles ont entendu lors de ces audiences douloureuses a convaincu les parties civiles qu’il fallait mettre le paquet pour qu’un procès consacré exclusivement à la sécurité puisse avoir lieu un jour à Nice.
Dans ce but, plusieurs parties civiles, réunies au sein de l’association Promenade des Anges, ont décidé d’agir à l’américaine. Leur avocate Virginie Le Roy a demandé à un cabinet spécialiste en maintien de l’ordre, fondé par un général de gendarmerie, de réaliser une étude précise et documentée du service d’ordre mis en œuvre le 14 juillet 2016. (...)
La première faille relevée par cette expertise, c’est l’absence de prise en compte de l’éventualité d’un attentat à la voiture-bélier. (...)
Une accumulation d’erreurs et de négligences
À la date de l’attentat du 14 juillet 2016, dix-neuf attentats ou tentatives avaient été commis en France depuis fin 2014, dont quatre au moyen d’un véhicule bélier.
Les autorités locales n’ignoraient pas cette menace : Nice était à l’époque un foyer important de la radicalisation islamiste. (...)
Mediapart avait révélé, en décembre 2016, les repérages effectués par le terroriste au volant de son camion, les jours précédant le massacre, sans qu’il ait été détecté par les caméras de surveillance de la ville.
Ce n’est pas tout. L’ensemble des préparatifs de la fête du 14 juillet laisse gravement à désirer. (...)
le 28 juin, Jean-Yves Orlandini, chef du service interministériel de défense et de protection civile au cabinet du préfet avait demandé expressément à la ville de sécuriser les festivités par la mise en place de barrières pour filtrer le public. Il n’a pas été entendu, en raison du manque d’effectifs de police nationale et municipale disponibles le 14 juillet. (...)
Selon le rapport de l’inspection générale de la police nationale versé au dossier d’instruction, l’effectif policier était nettement inférieur en 2016 à celui des années précédentes : 106 personnes seulement, contre 142 en 2015 et 138 en 2014, alors même que la France était en état d’urgence alerte attentat.
La comparaison entre le dispositif mis en œuvre pour l’Euro de football, en juin 2016 et celui du 14 juillet est encore plus éclairante. La compétition sportive avait donné lieu à un déploiement de moyens considérable à Nice, dont Christian Estrosi s’était glorifié (...)
« L’Euro de foot est un événement payant, qui a attiré des touristes étrangers à Nice. Le 14 juillet est une fête populaire et gratuite. Ce sont les pauvres qui viennent voir des spectacles gratuits et manger des bonbons en regardant le feu d’artifice », résume Célia Viale. La jeune femme espère maintenant que les juges vont déployer les moyens nécessaires pour faire la lumière sur les responsabilités du drame.
Mais les victimes savent que la partie est encore loin d’être gagnée. (...)