Le chef de file de La France insoumise a fait ces dernières années plusieurs déclarations ambiguës, voire imprégnées de stéréotypes antisémites, dénoncés comme tels par de nombreuses organisations juives et au-delà. Une « absence de sensibilité » ou un « déni » que le leader de la gauche conteste fermement.
Certes, le défilé de dimanche pose d’évidents problèmes politiques, notamment en raison de la présence annoncée de l’extrême droite. Le groupe LFI à l’Assemblée a d’ailleurs annoncé qu’il ne s’y rendrait pas, mais sans user des mêmes formules que son ancien patron. Formules faisant d’ailleurs suite à d’autres messages récents ayant provoqué la polémique.
Quelques jours plus tôt, Mélenchon, qui, répétons-le, se sait scruté, avait dénoncé de la manière suivante le traitement médiatique de Libération et BFMTV de la manifestation en soutien à Gaza : « Même propriétaire même mensonge ». L’Insoumis se trompe – Patrick Drahi, homme d’affaires franco-israélien, n’est plus au capital de Libé –, mais là n’est pas l’essentiel. C’est le sous-entendu d’assignation identitaire qui interpelle.
Le 22 octobre, le responsable LFI avait déjà tweeté une vidéo d’un rassemblement en soutien au peuple palestinien à Paris, l’accompagnant du message suivant : « Voici la France. Pendant ce temps, Madame Braun-Pivet campe à Tel-Aviv pour encourager le massacre. Pas au nom du peuple français ! »
Là encore, Mélenchon est parfaitement en droit de critiquer les positions de la présidente de l’Assemblée nationale, qui ont fait grincer des dents jusque dans les rangs de la majorité et au Quai d’Orsay, tant elles semblaient alignées sur celles du gouvernement israélien. Mais opposer ce qui serait la « vraie France » à celle qui se rend à Tel-Aviv, par ailleurs descendante d’immigrants juifs, polonais et allemands, dans une sorte de réinterprétation de « l’anti-France », ne pouvait que susciter une vive émotion.
Le choix du verbe « camper » a aussi été critiqué par certaines voix. « Le verbe “camper” est un terme qui a été utilisé classiquement, y compris dans les années 1930, par toute une littérature antijuive qui accusait les juifs de “camper” dans les pays où ils s’installaient sans trop d’égard pour le pays en question », a expliqué sur France 24 le chercheur Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite.
Le sociologue Pierre Birnbaum, connu pour ses travaux sur l’antisémitisme, va dans le même sens en rappelant que le terme fut employé dans des propos fustigeant la « race errante » d’un Léon Blum ou d’un Pierre Mendès France. Si Jean-Yves Camus appelle à « garder la tête froide », notamment en regard de la gravité de l’antisémitisme et du négationnisme d’extrême droite, il parle à propos de Mélenchon de « termes inappropriés qui laissent la place à des accusations ».
Le recyclage de stéréotypes
Par le passé, d’autres déclarations ont généré un trouble similaire. (...)
Les « signifiants flottants » du discours anticapitaliste
Le candidat aux présidentielles de 2012, 2017 et 2022 s’est aussi vu reprocher certaines formules de sa critique du capitalisme. Si la figure du « financier » renvoie à une réalité du système économique dominant – la finance de marché a de fait connu un essor important depuis les années 1980 – elle est aussi un cliché antisémite éculé, mais encore très présent dans les représentations – comme l’a montré, par exemple, une fresque récente à Avignon. (...)
Une incompréhension qui aboutit à une « négligence » et un défaut de « vigilance », dans un contexte d’augmentation des actes et expressions antisémites dans l’espace public. C’est ce qu’a souligné en 2021 le politiste Arnault Skornicki, dans un texte pour AOC qui revenait en détail sur la fameuse opposition entre « musulman » et « financier » : « On peut épargner un procès d’intention à JLM, écrivait-il. [Mais] le sens d’un énoncé ne dépend pas seulement de l’intention (même bonne) du locuteur ; il dépend aussi de l’air du temps qu’ont à l’esprit les auditeurs […]. Les signifiants flottants sont d’autant plus dangereux quand la conjoncture elle-même est glissante. »
Les insultes publiques entre le Crif et Jean-Luc Mélenchon ont contribué à brouiller la discussion. (...)
Recyclage de préjugés antijuifs ou sorties aux connotations plus ambigües, Jean-Luc Mélenchon a pour le moins manqué de prudence. Cela ne saurait conduire à le qualifier brutalement d’« antisémite », ce à quoi se refusent d’ailleurs plusieurs intellectuels ou responsables politiques qui ne ménagent pas leurs critiques par ailleurs.
C’est le cas de Jérôme Guedj, qui rappelait récemment « avoir toujours dit que Jean-Luc Mélenchon n’était pas antisémite ». Ou celui du sociologue Michel Wieviorka, chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) qui a estimé le 1er novembre dernier sur France Inter : « Je ne dirais pas qu’il a tenu des propos explicitement antisémites. Mais il laisse planer l’ambiguïté, l’ambivalence, mais l’antisémitisme proprement dit, non. »
En revanche, on peut constater la répétition de ces faits, et l’absence de travail pour l’éviter. Concernant d’autres minorités, Jean-Luc Mélenchon a pourtant su dépasser certains de ses réflexes, liés notamment à une culture politique anticléricale. (...)