
Christophe Kerrero a claqué vendredi la porte du rectorat de Paris. Une décision rarissime et une déflagration pour la ministre, accusée d’entraver un projet de « mixité sociale ». Au gouvernement, l’exaspération est à son paroxysme.
Pour Amélie Oudéa-Castéra, le symbole est catastrophique. Vendredi matin, le recteur de l’académie de Paris a claqué la porte et annoncé sa démission « surprise », à l’issue d’un bras de fer de trente-six heures avec la ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, contrainte de « prendre acte », dans un post sur X.
En poste depuis trois ans et demi, Christophe Kerrero n’a pas admis qu’Amélie Oudéa-Castéra annonce soudainement aux syndicats, mercredi 31 janvier, sans même l’en avertir au préalable, un moratoire sur la réorganisation des classes préparatoires de la capitale qu’il avait actée depuis des semaines déjà, et qu’il présentait comme un outil de « mixité sociale ». (...)
Pire : la rupture survient sur le thème de la « mixité sociale », un champ de mines pour Amélie Oudéa-Castéra depuis que Mediapart a dévoilé son choix d’inscrire ses enfants à Stanislas, établissement catholique champion de l’endogamie sociale. Et révélé que son fils aîné avait bénéficié d’un système de contournement de Parcoursup pour intégrer une classe préparatoire HEC dans ce lycée privé sous contrat. (...)
Dans une lettre ouverte adressée vendredi matin à tous les personnels de l’académie, Christophe Kerrero écrit qu’il « reste plus que jamais attaché au service public d’éducation et […] aux côtés de ceux qui la font ». Mais d’Amélie Oudéa-Castéra, plus question. Et le haut fonctionnaire de clamer : « Croire en chaque [élève], n’exclure personne est une ardente obligation pour faire société. » (...)
Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, elle non plus, n’était pas dans la boucle, alors qu’elle a la carte des « prépas » dans son portefeuille. (...)
L’exécutif a tenté de « ménager la chèvre et le chou »
À vrai dire, ces dernières semaines, l’exécutif avait reçu des alertes sur cette réforme. « On était tous un peu interpellés, raconte un membre du gouvernement. Mais il nous paraissait très compliqué, voire impossible de revenir sur ce qu’avait engagé le rectorat. Et l’enjeu de la mixité sociale était, pour nous, important à tenir. » (...)
Matignon saisit illico l’enjeu en termes d’image et la directrice adjointe de cabinet de Gabriel Attal, Fanny Anor, spécialiste des questions éducatives, multiplie les coups de fil pour éviter le « crash ». « L’enjeu était de trouver une porte de sortie en ménageant la chèvre et le chou », résume une source gouvernementale au fait des échanges.
Il semble y avoir une issue toute « simple », qui permettrait de sortir par le haut en n’humiliant personne : confirmer l’annonce d’Amélie Oudéa-Castéra et financer, en même temps, les ouvertures prévues par le recteur. Sur le devenir de celles-ci, la ministre s’était bien gardée de préciser quoi que ce soit, mercredi, devant les syndicats...
De toute façon, les nouvelles « prépas » imaginées par le recteur sont d’ores et déjà proposées aux lycéen·nes sur Parcoursup pour la rentrée 2024 ; et les enveloppes bel et bien annoncées, depuis quelques jours, aux chefs d’établissement concernés.
C’est donc tranché, y compris par Matignon. Au prix d’une dizaine de postes d’enseignant·es supplémentaires, dont on ne sait précisément, à ce jour, sur quelle enveloppe ils seront financés.
Désaveu
Mais pour Christophe Kerrero, cette « solution » n’en est pas une. Lui qui a dû annoncer, cette année, des centaines de suppressions de postes dans les premier et second degrés, refuse d’assumer la décision d’épargner les classes préparatoires, au public déjà favorisé. Son équipe craint aussi que ce recul gèle toute velléité de réforme à Paris pour des années. Malgré quelques gestes venus du cabinet d’Amélie Oudéa-Castéra, sa décision est prise. (...)
« Cette démission dit aussi le mal-être dans toute l’institution, à tous les niveaux, les chefs d’établissement et maintenant le recteur... » (...)
Serait-ce l’affaire de trop pour Amélie Oudéa-Castéra ? (...)