
La réintroduction des contrôles frontaliers entre l’Allemagne et la Pologne a changé le quotidien de milliers de personnes vivant dans cet espace transfrontalier.
Le pont qui relie la ville allemande de Francfort-sur-l’Oder à la ville polonaise de Slubice offre depuis peu un spectacle assez étrange.
Des drapeaux de l’Union européenne ont certes été hissés sur le pont et de part et d’autre de celui-ci. Sur un panneau est écrit "Ohne Grenzen. Bez Granic" - "sans frontières" en allemand et en polonais.
Mais ce slogan qu’utilisent depuis des années les deux viles dans leur campagnes de communication ne résonne plus de la même manière.
L’Allemagne a commencé à effectuer des contrôles aléatoires à la frontière en octobre 2023. La Pologne lui a emboîté le pas le lundi 7 juillet pour les personnes qui circulent dans l’autre sens.
Ainsi, au moment d’effectuer ce reportage, les gardes-frontières polonais contrôlaient le bus faisant la navette entre les deux villes et arrêtaient certaines camionnettes et voitures aux vitres teintées.
Réponse à la politique migratoire de l’Allemagne (...)
La Pologne a rétabli les contrôles à 52 postes-frontières avec l’Allemagne et 13 avec la Lituanie.
Cette mesure mise en place par le Premier ministre polonais Donald Tusk, est une réponse au durcissement de la politique migratoire de l’Allemagne, mais aussi de la pression migratoire orchestrée par la Biélorussie et la Russie. (...)
"Ce n’est qu’un spectacle politique, de la manipulation", estime Arkadiusz, un Polonais en vacances dans la région avec sa femme. Les deux se sont rendus à la frontière pour constater d’eux mêmes le retour des contrôles. "Nous ne nous sentons pas menacés par les migrants qui sont prétendument renvoyés d’Allemagne", dit Arkadiusz. "Mais la situation va devenir de plus en plus difficile pour les personnes vivant dans la région frontalière", ajoute sa femme, Dorota. (...)
Lilith, une étudiante de 17 ans vivant à Francfort-sur-l’Oder, partage cette inquiétude. Elle vient de rendre visite à un ami du côte polonais. Lilith n’a pas été arrêtée très souvent depuis que l’Allemagne a réintroduit les contrôles. En revanche, ses amis vivant en Pologne rencontrent davantage de difficultés. "Comme les contrôles frontaliers augmentent les files d’attente, ils arrivent souvent avec beaucoup de retard à l’école", dit-elle.
Elle craint que la mesure de rétorsion de la Pologne va également restreindre sa liberté de mouvement. (...)
Des "patrouilles de citoyens"
La frontière germano-polonaise n’est pas seulement surveillée par des gardes-frontières.
À Slubice et ailleurs le long de la frontière, des "patrouilles citoyennes" autoproclamées ont fait leur apparition depuis fin juin en Pologne. Ses membres portent des gilets jaunes et déploient des banderoles hostiles à l’immigration. Ils affirment "garder" la frontière.
Ces groupes proches de la mouvance d’extrême droite sont rassemblés au sein du Mouvement de défense des frontières (RMO). Ils entendent empêcher les migrants refoulés par les autorités allemandes de revenir sur le sol polonais.
Ainsi, il est près de midi lorsque l’un de ces groupes arrive au poste-frontière de Slubice. Avec leurs smartphones, cinq personnes filment les agents officiels pendant leur travail. (...)
Les membres de ces "patrouilles citoyennes" se montrent méfiants à l’égard des médias et évitent de répondre aux journalistes.
Tomasz, originaire de Slubice, porte une casquette "Trump 2024. Reprenez l’Amérique". Il ne participe pas aux patrouilles mais les soutient. "La seule raison pour laquelle ces contrôles sont effectués est que le Mouvement de défense des frontières a forcé le gouvernement polonais à les effectuer", explique-t-il. (...)
Un nouveau coup dur pour Schengen
Au cours de la journée, des personnes se présentent également pour dénoncer le retour des contrôles. Trois hommes du réseau Frankfurt Remains Colorful (Francfort reste multicolore) brandissent des pancartes. L’une d’entre elles comporte une traduction en allemand d’une déclaration du défunt pape François : "L’avenir ne se construit pas dans l’isolement". (...)
L’un des membres du groupe, Jan Augustyniak, craint que la liberté de circuler entre la Pologne et l’Allemagne, qui prévaut depuis que la Pologne a rejoint l’espace Schengen en décembre 2007, ne soit de plus en plus limitée (...)
Francfort-sur-l’Oder et Slubice sont depuis longtemps considérés comme un modèle d’intégration européenne.
Les deux villes sont devenues interdépendantes et d’innombrables projets communs ont rythmé ces 30 dernières années.
Il existe un réseau de chauffage urbain partagé par les deux villes, les enfants et les jeunes apprennent le polonais et l’allemand à l’école, des milliers de Polonais se rendent en Allemagne pour travailler et les Allemands font leurs courses ou vont chez le dentiste du côté polonais. Et puis, il y a tous ces petits aspects de la vie quotidienne dans une région frontalière : faire un saut de l’autre côté de la frontière pour acheter des cigarettes ou de l’essence, aller au restaurant ou rendre visite à des amis. Tout cela fait depuis des années partie du quotidien. (...)
"Les contrôles mis en place du côté allemand ont des conséquences négatives pour nous. Ils nous rendent la vie difficile, que ce soit pour les relations personnelles, l’économie ou la circulation", explique Marzena Slodownik, la maire de Slubice.
Elle estime que la classe politique à Berlin et à Varsovie ignore les implications sur la dynamique des régions transfrontalières. "Les dispositions imposées d’en haut ont une influence énorme sur nos vies. Cela aura inévitablement un impact sur nos relations mutuelles", assure Marzena Slodownik.
Elle appelle à intégrer ces réalités transfrontalières et européennes à la réflexion sur la politique migratoire.
Personnes refoulées à la frontière
Les contrôles à la frontière polonaise se sont déroulés sans incident ce lundi, même s’il y a parfois des embouteillages.
Certains piétons doivent également présenter leurs papiers. Il semble que l’apparence détermine qui est autorisé à passer et qui fait l’objet d’un contrôle plus approfondi. Ce jour là, les personnes identifiés comme des migrants semblent être celles qui se font le plus souvent arrêter. (...)