
En Allemagne, le nouveau ministre de l’Intérieur a annoncé de possibles refoulement de demandeurs d’asile à la frontière allemande. Qui sera concerné par cette mesure ? Et cette politique est-elle vraiment légale ? InfoMigrants s’est entretenu avec deux avocats spécialisés dans les questions d’asile.
(...) Matthias Lehnert : Tous ceux qui veulent entrer en Allemagne dans le but de demander l’asile peuvent être concernés. Les personnes vulnérables sont censées être exemptées des refoulements à la frontière, mais on ne sait pas encore exactement comment les personnes seront classées ou reconnues comme vulnérables par la police à la frontière. Ne seront pas seulement touchés des personnes possédant des passeports de pays que l’Allemagne considère comme "sûrs", mais aussi des personnes originaires d’autres pays. Le gouvernement a déjà admis que des demandeurs d’asile avaient été refoulés à la frontière.
Engin Sanli : Je pense que les demandeurs d’asile originaires de pays considérés comme sûrs par le Parlement allemand seront les premiers concernés (l’Allemagne classe les pays suivants comme "sûrs" : les États membres de l’UE, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, le Ghana, le Kosovo, la Macédoine, le Monténégro, la Moldavie, le Sénégal, la Serbie, ndlr). La nouvelle politique est largement basée sur un paragraphe existant dans la loi allemande sur l’asile, à savoir le paragraphe 18. Il stipule que les demandeurs d’asile peuvent être refoulés à la frontière s’ils viennent d’un pays sûr ou si un autre pays est responsable de leur demande d’asile. Dans la pratique, il n’est généralement pas possible de vérifier à la frontière si un autre pays européen est responsable de la demande d’asile d’une personne, comme par exemple en vérifiant ses empreintes digitales dans une base de données de l’Union européenne, de sorte que les personnes seront probablement toujours conduites dans des centres d’accueil et non pas refoulées à la frontière. (...)
Cette politique affecte-t-elle les demandeurs d’asile qui se trouvent déjà en Allemagne ?
Engin Sanli : Non. Seules les personnes qui traversent la frontière pour demander l’asile sont concernées, pas celles qui sont déjà dans le pays.
Matthias Lehnert : Une fois que quelqu’un est entré en Allemagne, une fois qu’il a passé un poste frontière, il reste autorisé à demander l’asile.
Est-ce que tout le monde sera désormais arrêté à la frontière ?
Engin Sanli : Non. La nouvelle politique peut théoriquement être appliquée partout le long de la frontière allemande, mais en pratique, la police se concentrera probablement sur les points de passage les plus fréquentés par les migrants. Le gouvernement allemand souhaite faire passer le nombre de policiers chargés des contrôles frontaliers de 10 000 à 14 000, ce qui n’est pas suffisant pour contrôler tous les points de passage aux frontières. (...)
La légalité de cette politique suscite de nombreuses interrogations. Selon vous, est-il légal pour l’Allemagne de rejeter des demandeurs d’asile à la frontière ?
Engin Sanli : Cela est autorisé en vertu du droit allemand. (...)
Mais en vertu du droit européen, et plus précisément du règlement Dublin III, le cas de chaque demandeur d’asile doit être examiné, y compris la question de savoir si un autre pays est responsable, avant que le demandeur d’asile ne soit renvoyé dans un autre pays.
Enfin, la question se pose de savoir si l’Allemagne est autorisée à effectuer des contrôles frontaliers à long terme dans le cadre de l’accord de libre circulation de l’espace Schengen. L’extension continue des contrôles frontaliers pourrait également constituer une violation de l’accord de Schengen.
Matthias Lehnert : Je pense que cette politique n’est pas légale. Le gouvernement allemand a évoqué un article de la législation européenne qui permet de suspendre le règlement de Dublin en cas d’urgence. Mais nous ne sommes pas dans une situation d’urgence. (...)
Il existe également une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme qui stipule que tout demandeur d’asile a le droit de bénéficier d’une procédure d’asile appropriée, ce que, selon moi, la politique de refoulement à la frontière ne respecte pas.
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