
Le politiste Kolja Lindner analyse le relatif succès dans les urnes du parti de gauche radicale, qui a reconstitué son groupe parlementaire. Il a fait mieux que résister à la scission organisée voici un an par une de ses anciennes responsables, Sahra Wagenknecht.
En obtenant près de 9 % des suffrages lors des élections fédérales tenues le 23 février, Die Linke a enregistré une progression qui constitue l’une des rares bonnes nouvelles pour les gauches en Allemagne.
Né en 2007 de la fusion opérée entre des dissidents sociaux-démocrates de l’Ouest et d’ex-communistes de l’Est, le parti s’était installé dans le paysage politique national depuis de nombreuses années. Il avait cependant décliné de manière significative lors du précédent scrutin législatif, en 2021. Et l’an dernier, ses perspectives s’étaient encore assombries en raison d’une scission à l’initiative de Sahra Wagenknecht. Celle-ci avait lancé une formation « conservatrice de gauche » à son nom, ce qui avait privé Die Linke de groupe parlementaire. (...)
Mediapart : Die Linke a retrouvé une représentation inespérée au Bundestag. Quels ont été les moteurs de sa dynamique électorale ?
Kolja Lindner : Le premier facteur date d’avant l’annonce des élections anticipées. En octobre dernier, un nouveau binôme paritaire a été élu à la tête du parti. Cela l’a rendu apte à saisir une fenêtre d’opportunité pour augmenter son poids électoral.
Sur le papier, l’équilibre traditionnel entre une personne issue de l’Ouest (Jan van Aken) et une personne issue de l’Est (Ines Schwerdtner) a été reproduit. Mais le plus important, c’est qu’ils incarnaient tous deux une véritable relève générationnelle (...)
Cela a considérablement joué sur deux plans. D’une part, Die Linke a connu des adhésions massives : le parti est passé de 54 000 membres en 2022 à 81 000 membres juste avant les élections législatives. D’autre part, les jeunes se sont davantage reconnus dans son offre politique. (...)
Le deuxième facteur a été le positionnement du parti sur le fond. Die Linke est apparue en pointe de la mobilisation antifasciste. (...)
Ensuite, Die Linke a mené une campagne sur les enjeux sociaux, et plus particulièrement sur la question des loyers et de l’habitat communal. Cet enjeu a fortement résonné dans les zones urbaines où Die Linke a réalisé de gros scores. On l’a notamment vu à Berlin, où la question du logement fait l’objet de mobilisations régulières. (...)
on observe une redistribution de l’électorat à l’intérieur de la gauche. Un peu moins de 300 000 « non-votants » ont nourri le score de Die Linke, contre 700 000 voix venues d’anciens électeurs écologistes, et environ 560 000 venues d’anciens électeurs sociaux-démocrates.
Mais est-ce révélateur d’une faiblesse structurelle, ou d’un début de recomposition de la gauche ? L’avenir le dira, mais j’observe que les 4,4 millions de voix de Die Linke ont été obtenues sur une base programmatique qui a gagné en cohérence et s’est « gauchisée » à la suite du départ de Sahra Wagenknecht. D’ailleurs, si l’on ajoute les scores de cette dernière et de Die Linke, la somme est plus importante que tous les résultats obtenus quand les deux sensibilités cohabitaient encore ensemble. (...)
Un des deux coprésidents, Jan van Aken, a été inspecteur pour l’ONU des armes biologiques. Il connaît donc bien les questions internationales et était à l’aise sur le sujet lors des débats télévisés.
Sa ligne consiste à contester la livraison d’armes, que ce soit à l’Ukraine ou à Israël, pour des raisons pacifistes. Mais le parti défend une solidarité différente, de type civil, passant par des sanctions et une offensive diplomatique auprès de la Chine, afin de contraindre la Russie à entrer dans des négociations de paix.
Die Linke dénonce clairement l’agression de l’Ukraine par Poutine, et affirme qu’aucune négociation ne devrait avoir lieu sans les Ukrainiens et les Ukrainiennes.