Au cours d’une nouvelle journée d’auditions de journalistes et responsables de la télé et radio publiques, le rapporteur Charles Alloncle, épaulé en amont par la galaxie Bolloré, a tenté de montrer que l’audiovisuel public penchait à gauche. En dépit du réel.
La commission d’enquête sur l’audiovisuel public donne une nouvelle occasion d’en faire le constat : l’extrême droite parlementaire et les médias Bolloré avancent ensemble, s’alimentent mutuellement et se coordonnent pour lancer des attaques ciblées.
Le groupe médiatique du milliardaire ultraréac fait feu de tout bois dans sa guerre commerciale et idéologique contre l’audiovisuel public. Son objectif : masquer ses propres manquements aux règles du pluralisme, en accusant les médias publics d’en faire de même.
Assumant leur part du travail, les député·es d’extrême droite se sont chargé·es de donner une traduction politique à tout cela. Charles Alloncle, élu sur les bancs de l’UDR, le groupe d’Éric Ciotti à l’Assemblée nationale, porte la charge contre l’audiovisuel public. Le rapporteur de la commission d’enquête sur « la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public » se borne surtout à poser des questions parfois hors de propos et toujours à charge, et il se moque bien des réponses. (...)
À cet égard, la journée du 18 décembre avait une importance particulière, avec l’audition des journalistes et éditorialistes du service public Patrick Cohen et Thomas Legrand. C’était d’ailleurs la révélation d’un enregistrement clandestin entre ces deux-là et des responsables socialistes qui avait fini par décider l’UDR à utiliser son droit de tirage, lequel permet à chaque groupe parlementaire d’obtenir la création d’une commission d’enquête par an, afin de consacrer la sienne à l’audiovisuel public.
La diffusion de cette conversation, dont les principaux intéressés contestent le montage « malhonnête » réalisé par le média d’extrême droite L’Incorrect (qui refuse toujours de publier l’intégralité des vidéos en sa possession), avait servi d’appui à l’extrême droite pour accréditer l’idée que l’audiovisuel public roule pour la gauche.
« Opération de propagande sans limite »
De cet enregistrement volé, il en a été largement question lors des auditions de Thomas Legrand et Patrick Cohen. Ce dernier a été le premier à se dresser contre l’hostilité du rapporteur. « Un journaliste n’est redevable que de ce qu’il dit, écrit et publie », a-t-il débuté, avant de lancer à la manière d’un de ses éditos que « l’impartialité ne se mesure pas dans les bistrots ni dans les chambres à coucher, ou alors c’est qu’on a basculé dans un autre régime politique ».
Reconnaissant « l’émotion incontestable suscitée par ces images », Patrick Cohen est ensuite passé à l’offensive. « L’émotion a été amplifiée par une opération de propagande sans limite, visant à dénigrer, à détruire le service public que je représente », a poursuivi l’éditorialiste de France Inter et France 5. Avant de s’en prendre à l’entité qu’il désigne comme l’orchestrateur de cette campagne de dénigrement le visant : « Je constate hélas [...] que l’espionnage déguisé en journalisme est appelé à prospérer sur les antennes du groupe Bolloré. » (...)
« Vous usez et abusez de ces papiers d’Europe 1. Je vous informe simplement, si vous ne le savez pas, que vous le faites sur une base qui est factuellement fausse et qui est juridiquement répréhensible », a cinglé Thomas Legrand. Patrick Cohen a, quant à lui, refusé de répondre aux questions du rapporteur portant sur les articles publiés sur le site d’Europe 1, ne leur accordant « aucune valeur », quand Charles Alloncle a estimé qu’ils mettaient au jour « un plan pour neutraliser les travaux de cette commission ».
La connivence entre la galaxie Bolloré et le rapporteur s’est faite plus évidente encore lorsque Charles Alloncle a tenté d’encourager Patrick Cohen à « demander à la rédaction d’Europe 1 d’apporter les preuves » sur lesquelles s’appuient ses articles. Le député UDR cherchait-il à piéger Patrick Cohen pour qu’il réfute le contenu de ces enregistrements clandestins et à fournir ainsi un prétexte à la station de les publier ?
En tout cas, pour l’instant, conscients de la douteuse légalité du procédé, les médias Bolloré se gardent bien de les rendre publics. (...)
Le groupe de La France insoumise a demandé, via un communiqué, à Jérémie Patrier-Leitus de s’assurer que Charles Alloncle n’a pas « menti », auquel cas « ce serait un fait inédit qui le discréditerait irrémédiablement et devrait avoir des conséquences graves ». Déjà sous le coup d’un rappel à l’ordre prononcé par la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, le rapporteur voit sa méthode inquisitrice se retourner contre lui.
Les nombreux incidents de séance et les innombrables passes d’armes du rapporteur avec le président de la commission, les auditionnés ou les autres député·es disqualifient d’avance ses conclusions, tout comme son climat maccarthyste. Plusieurs député·es membres se sont d’ailleurs indigné·es de la tenue des débats. « Ce qu’il se passe dans cette commission est infamant pour la représentation parlementaire, ce n’est pas digne du métier qu’on fait », s’est scandalisée la députée socialiste Ayda Hadizadeh.
« Ce à quoi nous assistons, je ne pouvais pas l’imaginer », a renchéri la députée du groupe écologiste Sophie Taillé-Polian, qui a exigé en urgence une réunion du bureau, tant « cette commission sort du cadre juridique ».
Le rapporteur dans l’impasse
Mis à part les questions redondantes et parfois affligeantes du rapporteur, l’impasse de cette commission d’enquête réside dans son objectif véritable : vouloir montrer, en dépit du réel, que l’audiovisuel public penche à gauche. À plusieurs reprises, Charles Alloncle a tenté de prouver que la directrice de France Inter Adèle Van Reeth, auditionnée jeudi matin, avait fait évoluer la station à gauche, alors même que tous ses choix de programmation tendent à prouver l’inverse. (...)
Même constat pour France Télévisions, qui a recruté cet été deux éditorialistes de CNews et dont les émissions politiques reprennent les questionnements des médias réactionnaires. Mais le service public n’en fera manifestement jamais assez pour contenter ses détracteurs à droite et à l’extrême droite. (...)
Les auditions devraient reprendre après les vacances de Noël. Sont notamment attendu·es la ministre de la culture Rachida Dati, les producteurs aux contrats mirifiques Pierre-Antoine Capton et Nagui, mais aussi des journalistes, de Léa Salamé à Élise Lucet en passant par Nathalie Saint-Cricq.
Gageons que Charles Alloncle aura trouvé d’ici là de quoi renouveler sa méthode, et d’autres questions à poser que celles portant sur les tweets des auditionné·es.