
Tribune de soutien, thèses complotistes, « fake news » : depuis près d’un mois, une puissante contre-attaque est menée pour éteindre l’affaire Gérard Depardieu. Elle s’appuie sur les médias réactionnaires du groupe Bolloré et des soutiens d’Éric Zemmour.
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Aujourd’hui, c’est la France d’extrême droite qui se mobilise pour sauver l’acteur. Depuis la diffusion, le 7 décembre, dans l’émission « Complément d’enquête », d’images montrant Depardieu tenir des propos sexuels obscènes, la contre-offensive s’organise par l’intermédiaire de réseaux d’extrême droite, entre médias réactionnaires du groupe Bolloré et soutiens d’Éric Zemmour.
Des réseaux dont les points communs sont les discours masculinistes, l’opposition à l’égalité des sexes et au mouvement #MeToo, mais aussi des accents complotistes et le recours à plusieurs fake news. (...)
Dernier épisode en date : la tribune de cinquante-six personnalités du monde de la culture soutenant Gérard Depardieu, publiée le 25 décembre dans Le Figaro. (...)
S’il a été publié dans Le Figaro avec l’aide de la communicante de crise Anne Hommel, dont Dominique Strauss-Kahn et Roman Polanski s’étaient alloué les services, c’est un jeune comédien et éditorialiste chez Causeur qui a tenu la plume : Yannis Ezziadi. (...)
Un ancrage dans les sphères identitaires et réactionnaires
Jusqu’à présent, le jeune comédien n’était apparu dans les médias réactionnaires (CNews, C8, Sud Radio) que pour défendre la corrida. En pleine période des fêtes de fin d’année, il a réussi – sans « aucune aide », nous jure-t-il – à fédérer la vieille garde du cinéma (la moyenne d’âge des signataires se situe autour de 69 ans).
Avec un discours qui va bien au-delà de la défense de Depardieu (...)
Ses comptes Facebook et Instagram, qu’il a depuis verrouillés ou supprimés, donnent un aperçu de son opposition au mouvement #MeToo et à toute parole publique dénonçant des violences sexuelles (...)
Il a soutenu plusieurs hommes accusés de viols – Roman Polanski en 2017, Philippe Caubère en 2018 (qui a bénéficié ensuite d’un classement sans suite), Gabriel Matzneff en 2020, en s’en prenant aux « gardiennes de l’ordre moral » et à « l’empire du bien qui crache au visage des génies ». Il a soutenu plusieurs hommes accusés de viols – Roman Polanski en 2017, Philippe Caubère en 2018 (qui a bénéficié ensuite d’un classement sans suite), Gabriel Matzneff en 2020, en s’en prenant aux « gardiennes de l’ordre moral » et à « l’empire du bien qui crache au visage des génies ». (...)
Ses réseaux sociaux montrent en tout cas un ancrage dans les sphères réactionnaires et identitaires. Il a successivement posé avec la fondatrice de Causeur Élisabeth Lévy – avec qui il fait la fête –, la directrice de Marianne Natacha Polony, le polémiste Michel Onfray, l’éditorialiste de CNews et Sud Radio André Bercoff, l’écrivain Marc-Édouard Nabe, le couple Robert et Emmanuelle Ménard.
Il a aussi soutenu l’écrivain Renaud Camus, figure de l’extrême droite identitaire qui a introduit la théorie raciste et complotiste du « grand remplacement », rappelle Le Monde. (...)
Autre élément : sa proximité avec Éric Zemmour – lui-même accusé de violences sexuelles par huit femmes et qui s’est illustré par des déclarations misogynes ou hostiles à la libération de la parole des victimes de violences sexuelles. (...)
Dix ans plus tôt, le comédien naviguait dans d’autres eaux radicales : la galaxie antisémite de Dieudonné, dont il s’abreuvait des vidéos. (...)
Ce vendredi, plusieurs signataires de la tribune ont pris leurs distances. Carole Bouquet a fait part de son « malaise » face aux « idées et valeurs » de l’initiateur de la tribune, l’acteur Yvan Attal a reconnu que cette tribune ne lui allait « pas totalement » et la réalisatrice Nadine Trintignant a indiqué qu’elle retirait sa signature.
Le rôle des médias du groupe Bolloré
La contre-attaque pour éteindre l’affaire Depardieu a cependant démarré bien avant que Yannis Ezziadi ne prenne la plume : dans les médias du groupe de Vincent Bolloré. (...)
Dès le 7 décembre, jour de la diffusion de « Complément d’enquête », une première polémique est suscitée dans l’émission « Touche pas à mon poste ! » (TPMP) de Cyril Hanouna. L’animateur – qui a toujours réservé un accueil royal à Depardieu, qu’il tutoie – annonce des « révélations sur les méthodes de “Complément d’enquête” ».
Il affirme que les images du documentaire en Corée du Nord ont été « volées » à son réalisateur Yann Moix par son producteur (dont la société, Hikari, a produit le « Complément d’enquête » sur Depardieu). Puis son chroniqueur Éric Naulleau annonce un « scoop » et déroule la thèse d’un complot ourdi dès 2018, en assurant que le producteur aurait « fait croire » à Yann Moix qu’il allait produire ce film avec Depardieu, uniquement dans le but de « rassembler du matériel pour “Complément d’enquête” ».
Le lendemain, c’est Yann Moix lui-même qui prend la parole sur le plateau de Cyril Hanouna pour alimenter la polémique, tout en donnant une grande interview au Journal du dimanche bolloréen et à son rédacteur en chef d’extrême droite, Geoffroy Lejeune.
Ces interventions ne visent pas seulement à décrédibiliser le travail de « Complément d’enquête » : elles ont aussi pour but d’atténuer la portée des images. (...)
Yann Moix assure de son côté que ces « blagues insupportables et inadmissibles » ne représenteraient qu’« 1 ou 2 % de la texture d’une journée » et que l’acteur se serait montré « la plupart du temps très attentif au sort et au destin des femmes coréennes, les interrogeant avec tact et douceur sur leurs conditions de vie ».
Naulleau comme Moix ne sont pas seulement des habitués du plateau de TPMP : ils ont tous deux cultivé des connexions à l’extrême droite. (...)
La thèse d’une « cabale inédite »
Parce que l’argument d’images « volées » n’a pas porté, l’offensive pour sauver Depardieu s’est poursuivie dans les médias du groupe Bolloré avec une autre thèse complotiste : les rushs de Corée du Nord seraient « manipulés » par un « montage frauduleux » de « Complément d’enquête » visant à « faire passer Gérard Depardieu pour un pédophile ».
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La thèse d’une « cabale inédite » est portée par la famille Depardieu, dans une tribune dans le Journal du Dimanche, puis sur le plateau de Pascal Praud sur CNews, où est reçue l’actrice Julie Depardieu, et enfin dans l’émission de Cyril Hanouna, où un journaliste du JDD (et ancien de Valeurs actuelles) fait écho de ses « révélations » sur des « tractations au sein de France Télévisions », où l’incendie aurait « monté de quelques étages » face à cette polémique.
L’audience de ces propos n’est pas négligeable (...)
Mais cette thèse a trouvé un plus large écho encore, grâce à Emmanuel Macron. Le 20 décembre, quelques jours après avoir reçu un appel de Gérard Depardieu, le chef de l’État a relayé l’hypothèse d’images trafiquées dans « C à vous », l’émission de France 5 (...)
Après les propos du président de la République, voilà France Télévisions obligée de réagir officiellement, en mandatant un huissier de justice qui, après visionnage des rushs, infirme la thèse d’un montage falsifié.
De son côté, la société des journalistes du service public fait part de son « indignation » de voir Emmanuel Macron « partager une “fake news” et légitimer les tentatives de déstabilisation de l’émission ». (...)
L’affaire ne s’arrête pas là. Fin décembre, sur le plateau de Cyril Hanouna, puis sur BFMTV, l’avocat de Yann Moix, Jérémie Assous, agite un nouvel argument : le documentaire en Corée du Nord serait en fait une « fiction » dans laquelle Depardieu devait « surjouer » son « propre rôle » en se montrant « provocateur » et « excentrique ». Le pénaliste va jusqu’à dresser une comparaison avec le personnage raciste interprété par Gérard Jugnot dans Le Père Noël est une ordure en 1982.
À rebours de cette contre-attaque, d’autres voix se sont fait entendre, dans le monde des médias (à l’image du collectif MeTooMédia) comme dans celui du cinéma. À l’instar de Sophie Marceau, qui a expliqué à Paris Match qu’elle avait, au moment du tournage du film Police (1985) avec Depardieu, dit publiquement qu’elle « ne supporta[it] pas son attitude, grossière et très déplacée », mais que « beaucoup de gens » s’étaient alors « retournés contre [elle] ».
Ou de l’actrice Lucie Lucas, qui a pris la parole sur Instagram pour n’être « plus complice de l’omerta généralisée ». Ou encore de la comédienne Isabelle Carré, qui, dans une tribune dénonçant les violences sexistes et sexuelles dans le magazine Elle, s’est interrogée : « N’est-ce pas étonnant qu’il faille attendre cinquante ans pour signifier à un acteur que son comportement avec les assistantes, les habilleuses, ses partenaires n’est pas acceptable, même sous prétexte de gauloiseries ? »
Enfin, plus de 600 artistes ont signé une « contre-tribune » publiée par le collectif Cerveaux non disponibles, dans laquelle ils estiment que la présomption d’innocence telle qu’elle est brandie par la tribune du Figaro « sonne comme une « présomption de mensonge » pour les femmes qui témoignent contre lui ».