Les 17 personnes interpellées lundi dans le cadre d’une enquête sur une action déployée contre un site du groupe Lafarge en décembre 2023 sont sorties de garde à vue. Elles dénoncent la brutalité et la disproportion des moyens utilisés à leur égard.
« Choqués », « sidérés ». Interpellé·es lundi matin aux aurores dans le cadre d’une enquête de la Sous-Direction antiterroriste (Sdat) après une action le 10 décembre 2023 contre le site Lafarge de Val-de-Reuil (Eure), les dix-sept militant·es écologistes étaient toutes et tous sorti·es de garde à vue jeudi 11 avril. Avec le sentiment d’avoir vécu, pour certain·es, un véritable cauchemar.
Leur garde à vue, qui s’est déroulée pour huit d’entre eux dans les locaux de la Sdat à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et pour d’autres dans des commissariats de l’Eure, pouvait durer jusqu’à 96 heures, le maximum pour une action « en bande organisée ».
Huit d’entre eux sont ressortis avec un classement sans suite et neuf sont convoqués le 27 juin au tribunal correctionnel d’Évreux. Ils devront répondre des charges d’« association de malfaiteurs en vue de commettre un délit », passible de dix ans d’emprisonnement, de « dégradation de biens » et de « séquestration ». Cinq sont également placés sous contrôle judiciaire.
Ces militants et militantes sont soupçonné·es d’avoir participé le 10 décembre à une action qui n’aura duré qu’une dizaine de minutes. Les activistes ont sorti des bombes de peinture et de la mousse expansive, parvenant à bloquer momentanément le fonctionnement de la cimenterie. L’entreprise Lafarge-Holcim a évalué à 450 000 euros les dégâts matériels. (...)
Le parquet d’Évreux avait également affirmé qu’un gardien avait été « séquestré » dans une pièce pendant la durée de l’action. Ce qu’avait fermement démenti dans un communiqué le collectif d’associations. (...)
Cette action s’inscrivait dans le cadre des « Journées contre le béton » organisées sur plusieurs sites du 9 au 12 décembre, à l’appel de plusieurs dizaines organisations et collectifs écologistes (les Soulèvement de la Terre, Extinction Rebellion, Youth for Climate, Attac…).
« Ce sont les moyens de l’antiterrorisme qui ont été mobilisés pour ressortir avec soit des classements sans suite, soit une simple convocation au tribunal. C’est totalement disproportionné », s’offusque Chloé Chalot, avocate de deux militants interpellés.
La doctrine consistant à criminaliser les militants et militantes écologistes se poursuit, en tout cas. (...)
« Ils ont débarqué à quinze armés, cagoulés, sont entrés dans la chambre de nos enfants qui ont 4 et 8 ans. Je ne sais pas si on peut s’imaginer le traumatisme pour des enfants de voir leur mère partir en pyjama, menottée, s’émeut le mari d’une des personnes interpellées. On se demande si la police ne considère pas ces formes d’interpellation comme déjà une forme de punition et d’intimidation. »
Familles traumatisées
Dans les locaux de la Sdat, où huit militant·es ont passé trois jours dans des cellules éclairées par des néons, « les questions étaient souvent politiques. Ils cherchaient à nourrir un narratif autour de la radicalisation des écologistes », raconte un des interpellé·es, qui a vu les policiers de la Sdat retourner méthodiquement son appartement et fouiller dans les livres de sa bibliothèque (...)
« C’était complètement irréel. Ils me parlaient de séquestration d’otage alors que cela n’a aucun sens et que c’était plutôt moi qui avais l’impression d’avoir été enlevée », affirme celle contre laquelle aucune charge n’a été finalement retenue.
Au bout de trois jours, elle apprend la fin de sa garde à vue et le classement sans suite de son affaire. « Ils m’ont à nouveau menottée et bandé les yeux avant de me relâcher dans une rue de Paris que je ne connaissais pas, avec un sachet contenant ma petite culotte, sur laquelle ils avaient prélevé mon ADN », raconte-t-elle. (...)
« Toute cette opération vise à donner une mauvaise image des militants écologistes. Parler de séquestration et de violence sur les forces de l’ordre, cela dessine l’idée qu’on serait prêts à s’en prendre aux personnes. C’est faux », avançait une jeune femme au sortir de sa garde à vue.