
Des responsables associatifs ainsi que des citoyens français et britanniques réunis au sein d’un collectif dénoncent dans une tribune publiée dans Le Monde l’accord franco-britannique "un pour un" conclu en juillet dernier pour tenter d’enrayer les traversées illégales. Les défenseurs des droits craignent qu’il ne remette en cause le droit d’asile et précarise d’avantage la situation des exilés. Entretien avec Stella Bosc, responsable communication de l’Auberge des Migrants, une association qui opère dans le nord de la France et qui est signataire de la tribune. (...)
Stella Bosc : Les personnes migrantes qui déposent une demande d’asile doivent avoir une évaluation individuelle. Cela ne doit pas se faire de manière aléatoire. Parmi les critères publiés par le Home Office [équivalent du ministère de l’Intérieur, ndlr] pour pouvoir obtenir l’asile se trouve la question de la nationalité et des quotas ont été fixés. Selon nous, c’est une manière de bafouer le droit d’asile qui devrait permettre à toutes les personnes d’avoir une évaluation propre de leur parcours. Nous refusons que le droit d’asile soit transformé en loterie.
Avec cet accord, le fait de traverser en "small boat" est considéré comme un acte quasi criminel et les personnes arrivées au Royaume-Uni par ce biais risquent d’être enfermées dans l’attente de leur renvoi vers la France.
Normalement quand on subit des persécutions, on est censé pouvoir fuir ce danger par tous les moyens et déposer sa demande d’asile. Ici à l’inverse, les exilés que nous rencontrons à la frontière ne sont pas considérés ni traités comme de potentielles personnes pouvant bénéficier de protection internationale ou du statut de réfugié. Elles n’ont plus l’opportunité de déposer leur demande de protection une fois arrivée au Royaume-Uni, alors même que quasiment 70% des demandes d’asiles sont acceptées une fois arrivé dans le pays. (...)
Les personnes qui peuvent demander l’asile depuis la France et font la demande n’ont aucune protection et sont soumises aux même conditions que les autres migrants, c’est-à-dire aux violences policières, aux risques d’interpellation, à une grande précarité… Au minimum, ce qu’on aurait pu attendre, c’est qu’il y ait un visa temporaire avec une prise en charge de ces personnes là. Elles se retrouvent en attente et ne peuvent pas traverser sous peine d’être criminalisées. Sauf qu’en réalité, quand on est dans des situations de grande précarité et qu’il n’y a pas de choix, nombreux tentent tout de même la traversée au risque d’être renvoyés.
IM : Pour quelles raisons jugez-vous cet accord "irréalisable" ?
SB : Dans les faits, il ne peut pas fonctionner car les personnes vont continuer à traverser, peu importe les risques d’enfermement à l’arrivée. Et les migrants expulsés vers la France, après quelques jours passés dans un centre d’hébergement d’urgence, vont vouloir retenter la traversée. C’est un double risque sachant qu’elles ont déjà risqué leur vie une première fois pour aller au Royaume-Uni. C’est un cercle infernal. (...)
Les critères pour obtenir le droit d’asile ne sont pas du tout adaptés aux profils des demandeurs. Parmi les filtres réclamés par le Home Office pour prétendre au droit d’asile figure le fait de ne pas être venu illégalement par "small boat", de ne pas avoir tenté d’obtenir un statut de réfugié ailleurs en Europe, d’avoir passé six mois consécutifs sur les cinq dernières années au Royaume-Uni de manière légale… Presque aucun migrant ne coche ces cases et cela n’est évidemment pas raccord avec les enjeux de l’asile que l’on connaît. En fait, ce sont des critères qui permettent aux gouvernements de dire qu’ils ouvrent un point légal mais qui n’est pas inapplicable. C’est de l’ordre de l’absurde, mais les impacts pour les migrants sont bien réels en revanche.
IM : Pourquoi utilisez-vous le terme de "marchandage" et qu’est ce que cela implique par conséquent ?
SB : C’est un terme assez parlant d’un point de vue politique : cet accord vise à faire de la communication politique, c’est un accord marchand. Il n’y a pas de réelle volonté de gérer l’immigration à travers ces renvois, c’est en réalité un espèce de marchandage qui a eu lieu entre ces deux États. (...)