
Le ministre des Transports estime que l’arrêt de l’A69 est une décision « ubuesque » qui ne respecterait pas l’intérêt général. Selon l’auteur de cette tribune, c’est plutôt une application concrète du droit de l’environnement.
Jean Olivier est docteur en écologie et président des Amis de la Terre Midi-Pyrénées, l’une des associations qui ont porté le recours en justice contre l’A69.
Décidément, le gouvernement refuse d’accepter l’évidence de la décision du tribunal administratif (TA) de Toulouse concernant l’illégalité de l’autoroute A69. Après avoir taxé cette décision d’« ubuesque » dans un post, le ministre des Transports, Philippe Tabarot (par ailleurs mis en cause dans une affaire de détournement de fonds publics), annonçait le jour-même du jugement, le 27 février 2025, que l’État allait faire appel de la décision. La ministre de l’Environnement, Agnès Pannier-Runacher, lui emboîtait le pas dès le lendemain, alors que le jugement est clairement fondé sur le respect du Code de l’environnement, dont elle est garante.
Le 7 mars, le ministre des Transports confirmait cette décision en expliquant aussi assortir l’appel d’une demande de sursis à exécution du jugement du tribunal administratif, pour permettre au chantier de reprendre, dans l’attente d’un recours en appel.
Comment comprendre cette contestation farouche de la décision de justice par le pouvoir en place, alors même que les ministres manquent d’arguments juridiques solides pour justifier cette autoroute ? Il se pourrait bien qu’on assiste là à l’affrontement de deux mondes, celui du « monde d’avant », où les intérêts économiques de quelques-uns prévalent sur l’environnement, et celui du « monde d’après », incarné par le jugement du tribunal administratif, reconnaissant enfin l’impérieuse nécessité de préserver la biodiversité en tant que patrimoine commun.
Une décision salutaire qui protège notre patrimoine naturel commun (...)
Les juges viennent ainsi rappeler fermement que les grands projets doivent relever d’une « raison impérative d’intérêt public majeur » suffisante pour « justifier » les destructions de biodiversité associées — en l’occurrence, tout au long des 53 kilomètres de chantier, des dizaines d’espèces de plantes et d’animaux protégées et leurs habitats naturels, tels que zones humides, arbres centenaires.
Faire évoluer le droit administratif en faveur du principe de précaution
On peut comprendre que personne ou pas grand-monde ne comprenne, ou ne veuille comprendre, que cette décision d’annulation n’intervienne que maintenant, deux ans après le démarrage effectif des travaux — et après la déclaration d’utilité publique (DUP) validée par un arrêté ministériel, et le Conseil d’État, en 2018, puis des autorisations environnementales délivrées début mars 2023 par les préfets de Haute-Garonne et du Tarn.
La première raison est liée au droit administratif, qui contrôle la légalité d’un acte administratif tel que celui ayant autorisé ce chantier seulement a posteriori, en présupposant que les préfets qui l’ont autorisé l’ont fait en connaissance de cause, et de bonne foi. Ce contrôle n’a d’ailleurs lieu que si un recours est déposé par des opposants.
S’agissant de l’A69, le problème n’est donc pas la décision du TA de Toulouse, mais le fait que les préfets du Tarn et de Haute-Garonne aient délivré en 2023 au concessionnaire Atosca des actes illégaux en toute conscience — ils disposaient déjà d’éléments les en alertant. Les intérêts particuliers et personnels ayant conduit à ces autorisations illégales devront être clarifiés par la justice (saisie par ailleurs de plaintes pénales).
Plus fondamentalement, la rapporteuse publique, magistrate indépendante devant éclairer la décision des juges, a remarquablement expliqué qu’une déclaration d’utilité publique (DUP), comme celle émise en 2018 par arrêté ministériel, ne vaut pas une « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM). (...)
Invoquer la DUP émise en 2018, comme le font la plupart des promoteurs et défenseurs de cette autoroute, tels les ministres ou le député du sud du Tarn, pour critiquer la décision du TA de Toulouse, est donc une négation d’un principe fondamental de notre Constitution reconnaissant une prééminence du droit de l’environnement. (...)
Le droit de l’environnement a gagné une bataille, pas la lutte
Enfin, plusieurs voix se sont élevées dans le concert d’indignation suscité par cette décision de justice pour réclamer que des projets validés par des élues — celui de l’A69 serait soutenu par « tous les élus locaux, quel que soit leur bord » (Agnès Pannier-Runacher) — ne puissent être contestés devant la justice, ou qu’en tout cas seul le respect des procédures puisse y être contrôlé, pas le contenu des projets.
C’est une vision bien particulière et autocratique de la démocratie que celle qui considère que les élues ont forcément raison et ne prennent jamais de décisions illégales. (...)
Le droit de l’environnement vient de gagner une bataille historique face à l’économie de marché, dont la toute-puissance présumée a rendu invivable le « monde d’avant ». Mais l’attitude de l’État montre que la guerre au vivant se poursuit, malgré l’aggravation de la sixième extinction massive de biodiversité. (...)
Le rôle d’une ministre de l’Environnement ne serait-il pas plutôt de soutenir les solutions alternatives, comme l’amélioration des transports publics, et un meilleur cadencement des trains entre Castres-Mazamet et Toulouse notamment ? Et de contribuer ainsi au passage au « monde d’après » ?