
(...) « Les valeurs mutualistes sont dégradées, les salariés sont malmenés, les assurés sont mécontents... », regrette l’élue de l’Union nationale des syndicats autonomes (Unsa). Ces valeurs mutualistes « de proximité, de solidarité et d’humanité », la Matmut continue à les mettre en avant.
Le nouveau logiciel permet de savoir combien d’appels de clients sont pris par les salariés, combien de dossiers ils traitent, et leur fixe des objectifs individuels à atteindre. Dès l’arrivée de ce nouvel outil, les syndicats tentent de signaler à la direction le mal-être généralisé. « Au départ, le logiciel a été mis en place au sein des agences (pas au siège), ça ne fonctionnait pas, mais ils ont décidé de l’étendre quand même », décrit Michel Lemaire, délégué syndical Force ouvrière (FO) au sein de l’assurance.
Le logiciel bugue beaucoup
En novembre 2021, une grève au siège de Rouen est lancée pour dénoncer une dégradation des conditions de travail. Aujourd’hui, « on est arrivé à un stade où on est dégoûté de notre travail, dit Élisabeth. Avant, on avait un vrai côté mutualiste, c’était une bonne entreprise, maintenant cet esprit disparaît ».
Même cinq ans après l’arrivée de l’outil, les salariés doivent encore jongler avec deux logiciels (...)
les salariés à qui nous avons parlé estiment que, depuis la mise en place de Smart, la charge de travail s’est accentuée du fait des dysfonctionnements.
« Je ne trie plus, je vais en diagonale, c’est impossible de savoir tout ce qu’on a et d’étudier les priorités », regrette Adam*, gestionnaire sinistre depuis 2012. Par ailleurs, toutes les branches internes n’ont pas encore généralisé l’utilisation de ce logiciel. Lorsqu’un salarié travaillant avec Smart reçoit un dossier destiné à un autre service doté de l’ancien logiciel, il ne va pas pouvoir le transférer, mais va devoir rédiger un message qui risque de se perdre lui aussi dans le flux.
Les managers surveillent tout
En plus de ces problèmes techniques, le logiciel a conduit à une perte d’autonomie des agents. « Avant, on savait exactement ce qu’on avait à faire, on avait une bonne visibilité », poursuit Adam. Désormais, c’est une intelligence artificielle qui détermine les priorités et répartit les dossiers en envoyant des « pushs » [notifications] sur l’écran des salariés. « L’outil fait de plus en plus de choses, on a perdu en autonomie et en compétence » (...)
« On est obligé d’accepter toutes les tâches qui apparaissent par push, sinon les managers le savent, j’ai été convoqué au bout de plusieurs refus », raconte Adam. « Les managers ont une vue à 360 degrés, ils connaissent la durée des pauses, leur nombre, les appels reçus, ceux manqués, les tâches effectuées, etc. », décrit Sylvie. Une des nouveautés avec Smart, c’est aussi l’apparition d’un chronomètre lorsque les conseillers acceptent une tâche notifiée par le push. « S’ils sont trop longs à la traiter, ils sont rappelés à l’ordre et on les met en formation », explique Michel Lemaire de FO.
L’ensemble des salariées interrogées affirment que ce fonctionnement ajoute une pression supplémentaire, et engendre un mal-être au travail. (...)
Après un contrôle effectué en mars 2022 sur le site de Saint-Priest, l’inspection du travail a alerté sur la présence de « nombreux facteurs de risques psychosociaux » au sein de l’établissement. En août 2022, un courrier de mise en demeure de l’inspection du travail est même transmis à Véronique Jolly, directrice des ressources humaines (...)
Pour Pauline*, gestionnaire sinistre dans le sud de la France, la nouvelle organisation liée au logiciel entraîne une perte totale de sens dans son travail. « Aujourd’hui, je commence un dossier que je ne revois plus jamais, il n’y a plus de personnalisation », explique-t-elle. Les dossiers ne sont plus gérés par secteur géographique, tout est nationalisé. Le temps de traitement des dossiers s’en retrouve lui aussi rallongé.
L’ensemble de ces changements pèsent sur la santé des salariés (...)
Les assurés en pâtissent aussi (...)
. « Avant, on pouvait passer du temps sur les dossiers, mais maintenant on nous parle “d’ambitions”. On s’en fout que les salariés prennent le temps d’écouter les sociétaires, on nous demande de vendre… » Mais que vendre quand on a l’impression que le service se dégrade en même temps que les conditions de travail ?