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Mediapart
À l’Assemblée, le MoDem boycotte la réhabilitaton de Dreyfus
#Dreyfus #AssembleeNationale #MoDem #Bayrou
Article mis en ligne le 4 juin 2025
dernière modification le 3 juin 2025

À la surprise générale, la quasi-totalité des députés du groupe centriste ont refusé de participer au scrutin destiné à élever le capitaine au rang de général de brigade. En guise de justification, ils ont argué que ce vote pourrait être « instrumentalisé » par LFI et le RN.

Tout de suite après le scrutin, le rapporteur du texte Charles Sitzenstuhl, Alsacien comme Alfred Dreyfus, a repris le micro et parcouru d’un regard ému les bancs de l’Assemblée nationale. « Je voulais vous remercier, quels que soient vos parcours, pour ce vote unanime qui restera dans l’histoire de notre pays », a souligné le député macroniste. Puis il s’est adressé à la famille du capitaine Dreyfus, présente dans les tribunes : « La République est grande quand elle sait s’élever au-delà des contingences politiques et qu’elle regarde son histoire en face. »

Lundi 2 juin, c’est à l’unanimité de 197 députés présents dans l’hémicycle que la représentation nationale a « réparé une erreur » et rendu justice à Alfred Dreyfus en l’élevant, quatre-vingt-dix ans après sa mort, au rang de général de brigade. Un rang qu’il n’avait jamais pu atteindre de son vivant, ses années passées au bagne sur l’île du Diable ayant brisé sa carrière militaire. « Dreyfus, ce n’est pas une vieille histoire, c’est une sentinelle de la République », a rappelé Charles Sitzenstuhl, heureux qu’à ce grand homme, « la patrie soit enfin reconnaissante ». (...)

un petit groupe a résisté à l’unanimisme ambiant : celui du premier ministre François Bayrou. Vendredi 30 mai, dans les pages du très droitier FigaroVox, Marc Fesneau, le président du groupe MoDem à l’Assemblée, cosignait avec la plupart de ses collègues une tribune qui a suscité l’étonnement général. Plutôt que de se satisfaire qu’un vote solennel rende ses lettres de noblesse à Dreyfus, ils ont expliqué pourquoi ils ne « participer[aient] pas au débat ». (...) (...)

« En faisant mine d’être unanimes sur ce texte, au motif de commémorer à juste titre l’antisémitisme de la fin du XIXe siècle et sa figure sacrifiée, nous donnerions le sentiment fallacieux que nous serions réellement unis pour faire face à l’antisémitisme d’aujourd’hui ou de demain », écrivaient alors les députés MoDem, jugeant que « la mémoire d’Alfred Dreyfus ne doit pas servir à s’acheter un brevet d’honorabilité ».

Ciblant explicitement le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI) – placés sur le même plan –, le texte s’en prenait autant aux « héritiers de ceux qui l’ont calomnié, haï, condamné » – à savoir « l’extrême droite antisémite […] qui allait conduire au pire lors de la Seconde Guerre mondiale » – qu’à ceux qui, « en instrumentalisant à des fins électoralistes les conflits au Proche-Orient et la cause palestinienne, nourrissent les passions les plus sombres […] au point qu’un député du Parti socialiste soit chassé d’une manifestation du 1er-Mai au cri de “sioniste” ».

Pas question, selon les signataires de cette tribune, d’offrir à ceux qu’ils qualifient confusément d’« extrêmes » un texte par lequel ils pourraient se racheter à bon compte, résume-t-on dans l’entourage du groupe MoDem. En oubliant cependant que l’Assemblée a maintes fois permis à l’extrême droite, ces derniers temps, de s’afficher comme le « bouclier », selon ses propres mots, des juifs en France – ce fut notamment le cas il y a à peine un mois, lors d’un texte sur l’antisémitisme à l’université. (...)

En l’occurrence, il n’y eut ni noms d’oiseaux ni vociférations durant ces presque deux heures de prises de parole. Le RN est resté sobre ; le macroniste Sylvain Maillard s’est abstenu de lancer ses piques habituelles à LFI ; quant au député insoumis Gabriel Amard, il a livré un discours empreint de gravité et s’est employé à remettre l’histoire à l’endroit, fustigeant « celles et ceux qui ricanent à l’ombre des croix gammées, ceux-là mêmes [qui] lèvent aujourd’hui la main, comme s’ils avaient été dreyfusards ».

« Dans ma famille, on descend des dreyfusards, pas dans la vôtre ! », a-t-il lancé face aux bancs du RN, avant de rappeler que « l’antisémitisme n’est pas mort, mais il n’est pas le seul : l’islamophobie ronge les plateaux et les lois, le racisme, l’homophobie, la haine des pauvres […] repeuplent la République de ses vieux fantômes ». (...)

Pour finir, seul le MoDem aura donc refusé de se joindre à ce concert honorant la mémoire de Dreyfus et mettant en garde pour l’avenir. De quoi laisser pantois le rapporteur macroniste du texte Charles Sitzenstuhl, qui a fait part de sa « surprise » et de sa « tristesse » à l’idée que le parti de François Bayrou ne se soit pas rendu compte du caractère historique de cette initiative.

Dans le groupe de Marc Fesneau, plusieurs députés, comme Jean-Paul Mattei, Olivier Falorni, Sandrine Josso ou Franz Gumbs, se sont tout de même abstenus de signer la tribune du FigaroVox. Dans l’hémicycle, trois d’entre eux – Bruno Fuchs, Delphine Lingemann et Géraldine Bannier – ont même pris l’initiative de voter en faveur du texte.

Toute la journée de lundi, les hypothèses sont allées bon train pour tenter de comprendre pourquoi le MoDem avait décidé de ne pas ratifier un tel texte, émanant qui plus est du président du groupe Ensemble pour la République (EPR), Gabriel Attal, avec qui le parti de François Bayrou est allié. (...)

« Je crains que cela s’explique par de piètres considérations politiciennes, ce qui est incompréhensible et impardonnable à propos d’un sujet comme Dreyfus », glisse un député EPR.

« Vous pensez vraiment qu’on aurait joué à un jeu politique sur un texte comme ça ? Par ailleurs, Attal et Fesneau n’ont pas les mêmes ambitions politiques ! », s’étrangle-t-on dans l’entourage du groupe centriste, où l’on fait remarquer qu’il y a aussi « eu un boycott non assumé de beaucoup de députés qui n’étaient pas présents dans l’hémicycle » – seuls 38 des 123 députés RN étaient présents, 53 des 94 députés EPR…

D’autres se souviennent aussi des propos « pas très bienveillants » que François Bayrou tenait en 2006 sur LCI, où celui qui était alors président de l’UDF expliquait en quoi la panthéonisation du capitaine Dreyfus ne lui semblait « pas justifiée ».

« Le Panthéon, c’est pour des gens qui ont eux-mêmes changé l’histoire, mais qui malheureusement n’ont pas subi l’histoire », déclarait-il alors, comme si Alfred Dreyfus n’avait pas été un acteur de sa réhabilitation. Un « héros républicain », comme l’a qualifié la ministre des anciens combattants, Patricia Mirallès, lundi, avant de rappeler qu’il était « revenu servir la France dans la Grande Guerre alors qu’il avait toutes les raisons de se retirer ».