
Comment exercer son métier de photoreporter, confiné dans l’enclave palestinienne, parmi décombres et les victimes ? À Perpignan, le festival Visa pour l’image expose et récompense le courage de ces journalistes.
(...) Tout est gris et d’une infinie tristesse dans cette image prise par Loay Ayyoub, photoreporter gazaoui de 29 ans, correspondant pour le quotidien américain Washington Post, qui verra son travail récompensé à Visa pour l’image, le festival de photojournalisme de Perpignan. Un prix qui salue sa couverture de la guerre qui oppose Israël au Hamas, au prix de risques vertigineux. « Être journaliste à Gaza signifie que vous et votre famille êtes en danger à tout moment, explique-t-il depuis l’Égypte, où il est désormais réfugié. Vous-même pouvez devenir sujet de l’actualité. » (...)
plus de quarante mille morts dans l’enclave palestinienne (chiffres du ministère de la Santé du Hamas). Parmi eux, cent trente-sept sont des journalistes, dont trente ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions, selon le décompte de l’association Reporters sans frontières (RSF). « En dix mois de conflit, cela signifie presque un reporter tué tous les deux jours. C’est un vrai massacre et une catastrophe sans équivalent en matière de journalisme », dénonce Jonathan Dagher, responsable du bureau Moyen-Orient de RSF, qui s’apprête à déposer une quatrième plainte pour crimes de guerre auprès de la Cour pénale internationale (CPI). (...)
Dernière victime en date, le journaliste indépendant Ibrahim Muhareb, tombé le 18 août sous les tirs d’un char israélien, alors que son gilet presse bleu l’identifiait clairement. « Cibler la presse, la réduire au silence, relève d’une stratégie à part entière de l’armée israélienne. Plus largement, elle témoigne de sa volonté d’imposer un black-out complet sur ce territoire : la bande de Gaza est en train de devenir un trou noir de l’information. » Par conséquent, les images qui émanent de Gaza sortent au compte-goutte et se font de plus en plus rares. Un mutisme médiatique sans précédent, confirme Nicolas Jimenez, directeur de la photo au journal Le Monde (...)
Au lendemain de l’attaque du Hamas, une chape de plomb descend sur l’étroit territoire de 365 kilomètres carrés. « Je pense que toutes les couvertures en direct ont été visées, renchérit Éric Baradat, directeur de la photo à l’Agence France-Presse (AFP). La caméra qui émettait en permanence sur le toit de notre antenne gazaouie s’est éteinte, sans doute ciblée avec l’aile du bureau qui contenait les serveurs informatiques. » Alors que débute le déluge de missiles, dans la panique, la plupart des médias, à l’image de l’AFP, évacuent, tant bien que mal, les salariés et leurs familles. Souvent, ce sont les collaborateurs occasionnels qui prennent le relais.
Gaza, zone d’actualité permanente, se caractérise en effet par la multitude de journalistes qui y photographient, écrivent et transmettent des nouvelles dans le monde entier. « Toute la presse internationale, et notamment arabe, y avait des correspondants », décrit ainsi Éric Baradat (...)
À mesure que le conflit se prolonge, l’épuisement s’accentue pour ces reporters gazaouis en perpétuel mouvement, suivant les offensives, les déplacements de population, mais aussi obligés de bouger plusieurs fois par jour pour éviter d’être repérés. De leur côté, les rédactions et les « consultants sécurité » s’organisent pour tenter de garantir à distance la protection de leurs collaborateurs. (...)
Avec une éternelle question : celle de l’objectivité de ces naufragés de l’info, qui, souvent, sont une dizaine à se partager une tente et une carte téléphonique monnayée à haut prix dans un secteur devenu le lieu de tous les trafics. « Cette question se pose partout dans le monde où des photographes locaux se retrouvent à montrer leur pays sous les bombes, analyse Éric Baradat. À Gaza comme en Ukraine, il faut faire des concessions. (...)
En relais de ces faiseurs d’images plongés en enfer : un « desk », tel ce bureau de l’AFP basé à Chypre, avec ses éditeurs photo arabophones chargés de rédiger les légendes au plus précis et de vérifier leur cohérence. (...)
Après cent soixante-deux jours sous les bombes, Loay Ayyoub a finalement décidé de quitter la bande de Gaza, d’où il a été évacué avec l’aide du Washington Post. (...)
« Les détails de ce que vous avez vu et vécu restent gravés dans votre esprit, confie le jeune homme. En Égypte, il m’est difficile de travailler : je suis réfugié et il faut obtenir un permis de travail. » En attendant, il espère un visa pour la France afin d’y recevoir son prix à Perpignan. « J’aimerais qu’il puisse voir ses photos exposées, et l’impact que ses images ont sur le monde », souffle Olivier Laurent.
Festival Visa pour l’image. Parmi les photographes exposés, Loay Ayyoub et Sergey Ponomarev, au Couvent des Minimes du 31 août au 15 septembre à Perpignan (66). Accès libre.