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Mediapart
À Gaza, « il faudrait 1 000 camions chaque jour pour éloigner la famine »
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #famine
Article mis en ligne le 27 mai 2025

« Il n’y a pas de lait, pas de viande, pas d’œufs, pas de fromage, pas de fruits, pas de légumes. » Pas non plus d’eau potable ni de moyen de cuisson. Mediapart a recueilli les témoignages de Gazaouis enfermés dans une lutte pour se nourrir et nourrir leur famille.

Tous les jours, Mohammed Abu Mughaisseb « remercie Dieu d’être seul à Gaza ». Sans sa femme et leurs enfants, qu’il a réussi à faire évacuer il y a un an et demi au Caire (Égypte). « Ils sont en sécurité, ils ont à manger, explique-t-il à Mediapart sur WhatsApp*. Ici, je ne sais pas comment j’aurais fait pour les nourrir et je n’aurais pas supporté mon impuissance. Nourrir ma seule personne est déjà un combat quotidien. »

Mohammed Abu Mughaisseb est un des piliers de Médecins sans frontières à Gaza, son coordinateur médical. Il ne compte pas les heures pour venir en aide et apporter un peu de répit à la population, assiégée et affamée depuis le 2 mars par un blocus total. Comme tout le monde, il a faim, se contente d’un seul repas par jour quand il y parvient.

Au gré d’une connexion internet instable, il raconte « un cauchemar qu’il pensait ne voir exister que dans la fiction » (...)

Un rire sarcastique le traverse quand on évoque les quelques camions qui entrent dans l’enclave depuis que le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et son gouvernement, de peur de perdre le soutien des États-Unis, ont annoncé lundi 19 mai une reprise extrêmement limitée de l’aide humanitaire.

Trois cents camions seraient entrés depuis lors dans Gaza, selon les autorités israéliennes. « C’est une goutte d’eau dans un océan de souffrances et un énorme mensonge d’Israël au monde entier de faire croire que la nourriture est de retour alors que c’est faux, s’indigne Mohammed Abu Mughaisseb. Il faudrait mille camions chaque jour pour éloigner la famine. Les denrées vitales sont aux portes de Gaza mais Israël les bloque délibérément pour nous tuer. Nous manquons de tout, de nourriture, d’eau potable, de médicaments, de carburant. »
La recherche éperdue de nourriture

L’humanitaire raconte son parcours du combattant pour trouver de quoi se nourrir dans l’enclave anéantie, où plus de 90 % des habitations ont été détruites selon les Nations unies. « J’ai l’argent mais il n’y a rien à acheter au marché. Il n’y a pas de lait, pas de viande, pas d’œufs, pas de fromage, pas de fruits, pas de légumes. Et les rares produits que l’on trouve sont souvent des conserves et des céréales, qui ne constituent pas vraiment un repas approprié, et ils sont vendus à des prix exorbitants. Un morceau de pain coûte près de 3 dollars et il est mauvais car la farine est souvent avariée. Autrefois, avec un dollar, tu pouvais en acheter dix. Les cuisines et boulangeries qui sauvaient bien des familles se sont arrêtées car il n’y a plus rien à distribuer. »

Les images qui parviennent de Gaza appuient le témoignage de Mohammed Abu Mughaisseb. Ici, des bousculades pour un sac de farine. Là, des visages émaciés d’enfants agonisants dans des hôpitaux, d’autres qui se serrent dans des files d’attente, une casserole à la main, dans l’espoir de repartir avec un repas. Quinze camions du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été pillés dans la nuit du jeudi 22 au vendredi 23 mai, a annoncé l’ONU. (...)

À Gaza, la majorité des terres agricoles ont été réduites à néant par l’armée israélienne. Tout comme les élevages, qui assuraient, avec l’agriculture, une part non négligeable d’autosuffisance alimentaire. Moins de 5 % des terres agricoles sont cultivables et/ou accessibles, selon un dernier bilan de l’organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation. Dans la région d’Al-Mawasi, certains essaient de redonner de la fertilité aux sols. Une gageure.

Si manger est un combat, boire de l’eau potable aussi, Israël ayant délibérément ciblé les infrastructures. (...)

« Il faut souvent marcher sur de longues distances pour trouver de l’eau salubre, faire la queue devant les citernes puis faire le trajet en sens inverse avec les jerricanes lourds. C’est épuisant, les enfants se plaignent de douleurs à force de voyages. Nous avons besoin d’environ 30 à 50 litres d’eau par jour pour boire, nous nourrir et nous abriter », poursuit Basel al-Radea.

« L’eau nous est livrée par camion en petites quantités, insuffisantes pour vivre », abonde Rana Malakh, 37 ans, originaire de l’est de Gaza. Déplacée vingt fois, elle se trouve aujourd’hui dans l’ouest de Gaza et explique à Mediapart combien l’impossibilité de se laver a entraîné la propagation de maladies de peau très contagieuses telles que la gale, les allergies et d’autres affections. À Gaza, dit-elle, « la mort guette à chaque instant. Ce peut être un bombardement, un déplacement, la faim, la maladie, les blessures, les brûlures, qui vous tuent ». (...)

Mohammed Abu Mughaisseb a des milliers d’exemples qui tournent dans son esprit. Cette petite fille de 2 ans amputée de ses deux jambes, dont l’évacuation hors de l’enclave a été refusée par Israël. Cette femme amputée d’une jambe dont le mari et les enfants ont été tués. Elle espérait fuir au Royaume-Uni. Quitter Gaza.

C’est le vœu de Mohammed Abu Mughaisseb. « Je ne vais pas mentir, lâche-t-il, amer et triste, après un long silence. Si le cauchemar s’arrête maintenant, je ferai tout pour partir et rejoindre ma famille. Et ensuite nous verrons quel est l’avenir, s’il y a encore un avenir. Nous ne reviendrons pas à Gaza. Il n’y a plus de routes, plus d’écoles, plus d’hôpitaux, plus d’universités, plus d’infrastructures, plus de maisons, plus d’électricité… Il faudra des décennies pour reconstruire, pour revenir à avant le 7-Octobre. Israël a détruit tous les éléments de la vie, il a réussi son plan : nous sommes nombreux à vouloir fuir Gaza. »

Ces derniers temps, plusieurs habitants désespérés lui demandent : « Qu’attend Israël pour lâcher la bombe nucléaire sur Gaza pour que nos souffrances cessent ? »